Les épines des Sclerocactus : Nature des épines

Dans leurs milieux naturels, toutes les espèces du genre Sclerocactus entrent très tôt en végétation. En culture, ce démarrage de la végétation se manifeste habituellement dès le courant de février par une percée de boutons floraux pour les spécimens en âge de fleurir et par l’apparition de nouvelles épines. C’est une chance de pouvoir assister à l’émergence de ces dernières. Elle prend très vite une belle ampleur et c’est un spectacle toujours étonnant et coloré qui s’offre au regard. Spectacle étonnant car cette montée d’épines intervient alors que ces cactées n’ont pas été arrosées depuis cinq ou six mois ! Spectacle coloré dans la mesure où ces nouvelles épines surgissent des aréoles en se parant de teintes éphémères les plus opalescentes et irisées qui soient dans les gammes de rouge, rose et jaune.

polyancistrus 2015-06aQuelles significations peuvent avoir ces couleurs ? La littérature spécialisée sur les cactées ne livrant guère d’explications détaillées sur les épines, il faut se tourner vers des écrits de biologie végétale comme ceux du botaniste américain James D. Mauseth, professeur à l’Université du Texas à Austin et auteur de nombreux ouvrages consacrés aux cactées.

Selon J. D. Mauseth, la formation des épines sur les aréoles couvre une période de temps très courte tout au long de laquelle « l’élongation cellulaire de la plupart des épines est uniforme, produisant une épine remarquablement droite, mais certaines ont des niveaux de croissance différents et prévisibles, s’allongeant davantage sur leur côté adaxial et devenant ainsi arquées ou en forme d’hameçon à leur extrémité » (Structure-Function Relationships in Highly Modified Shoots of Cactaceae in Annals of Botany 98 : 901-926, 2006). Les couleurs de ces épines naissantes désigneraient donc, sur une courte durée de temps, des épines naissantes en situation de forte turgescence, dont les cellules sont en train de s’allonger et de se diviser de manière la plus souvent uniforme avant de très vite dépérir, c’est-à-dire de se dessécher, puis mourir (Mauseth, 2006).

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Durant le temps de leur allongement, les cellules de ces épines qui sont gonflées, gorgées d’eau, translucides avec des reflets irisés et presque luminescents parfois, montrent des couleurs en lien avec leur teinte finale. Sur la photographie ci-dessus d’un spécimen de Sclerocactus parviflorus havasupaiensis, les teintes les plus foncées, rouge grenat à rose intense, s’observent sur les épines centrales en émergence qui sont appelées à être au final de couleur sombre. Les épines radiales apparaissant à leur pourtour montrent une couleur bien différente, paille à jaune blanchâtre. Une fois leur élongation terminée, ces épines radiales seront toutes de couleur blanche. Sur cette même photographie, on remarque que le sommet des épines centrales ainsi que leur pointe en hameçon ont (déjà) perdu leurs couleurs rougeâtres de naissance pour se parer de leur couleur finale, ici brun sombre. Le diamètre de la partie haute de ces épines centrales est devenu plus étroit : cellules et fibres n’y sont plus en turgescence. Au cours de leur allongement, les cellules d’épines se développent ainsi en fibres et cellules qui meurent au fur et à mesure qu’elles sont produites (Mauseth, 2006). Polyancistrus2015-13

Sur la photographie ci-dessus d’un spécimen de Sclerocactus polyancistrus, les couleurs sombres identifient les épines centrales abaxiales qui seront de couleur brun rougeâtre une fois leur allongement terminé. On remarque à droite de l’image que leur pointe émergeant à peine d’une aréole présente déjà une amorce de courbure en hameçon. Sur cette autre photographie ci-dessous d’un spécimen de Sclerocactus polyancistrus de forme  « albispinus » (fh 83.17 form albino, forme se caractérisant par une couverture d’épines de couleur jaune paille à blanchâtre), la courbure de la pointe de ses épines centrales s’est aussi formée dès leur émergence de l’aréole. De la même couleur que les épines radiales, les épines centrales sont toutes de couleur paille, bien différente de celle observée sur le spécimen précédent. Seules les pointes des épines centrales abaxiales présentent une teinte légèrement rosée. Polyancistrus-albino-2010-6

Il est admis que les épines des cactées sont des feuilles modifiées permettant à ces plantes, avec d’autres caractéristiques (tiges dotées de côtes, processus CAM, …), de s’adapter parfaitement aux contraintes des environnements secs. Il s’agit là d’une « évolution plus complexe que prévue » selon J. D. Mauseth, tant ces épines semblent n’être constituées d’aucun des caractères habituellement rencontrés dans les feuilles. « Les épines de cactus matures ne contiennent aucune des cellules ou tissus caractéristiques des feuilles et, inversement, les feuilles manquent de tous les traits caractéristiques des épines. » Et d’ajouter : « Les épines sont constituées uniquement d’une base de fibres entourées par des cellules épidermiques de type sclérite (cellule morte à paroi lignifiée). Elles n’ont pas de stomates, aucune cellule protectrice (épiderme supérieur), pas de parenchyme chlorophyllien de type mésophylle (fonction de photosynthèse), pas de xylème, pas de phloème » (Structure-Function Relationships in Highly Modified Shoots of Cactaceae in Annals of Botany 98 : 901-926, 2006).

whipplei-épines2015 Pour J. D. Mauseth, les épines des cactées se composent de fibres dites libriformes, c’est-à-dire à croissance en longueur, organisées dans l’axe d’allongement et d’élongation de l’épine, fibres entourées de cellules mortes (lignite) à parois épaissies, lesquelles composant un tissu de soutien appelé sclérenchyme. Les épines montrent ainsi une structure quelque peu caverneuse. Un article de Piotr Swiatoniowski intitulé « Les secrets des épines » (Tephrocactus Study Group Journal, March 2001, vol. 7, n° 1) et portant sur la constitution d’épines caractéristiques du genre Pterocactus et des groupes apparentés à la sous-famille des Opuntioideae, se trouve illustré de plusieurs photographies prises sous microscope électronique. Ces photos montrent que les fibres de ces épines contiennent des espaces vides irrégulièrement disposés qui, dans la structure interne de l’épine, constituent une sorte d’isolant contre la chaleur. Ces cavités sont aussi et surtout capables de retenir temporairement de l’eau de pluie ou de condensation, une eau qui va se retrouver très vite distribuée dans les tissus de la plante (Pierre-Louis Fröhring, Guide de l’amateur de Cactus, 1998, p.203). En l’absence d’études les concernant spécifiquement, on peut imaginer que les épines propres au genre Sclerocactus sont très proches en matière de structure interne et fonctionnalité.

A cette capacité interne de rétention d’eau peut s’ajouter la captation d’eau par une multitude de minuscules soies ou poils observés à la surface de certaines épines. Sclerocactus pubispinus, Sclerocactus spinosior et Sclerocactus blainei montrent ainsi des épines pubescentes à leur stade juvénile. Une pubescence qui ne dure qu’un temps mais qui est plus marquée que celle qui peut être observée sur les jeunes épines des autres espèces du genre. On retrouve par exemple cette particularité, atténuée, sur les jeunes épines de Sclerocactus whipplei et Sclerocactus glaucus. La pubescence des épines juvéniles de Sclerocactus pubispinus est observée au début des années 1980 par le botaniste Stanley L. Welsh qui souligne la présence « d’épines juvéniles, et souvent d’autres en partie matures, densément ou modérément pubescentes blanchâtres, puis glabres finalement » (Utah Flora : Cactaceae in Great Bassin Naturalist vol 44 n°1 (Janvier 1984), pp. 66-69). Une formulation que l’on retrouve quasi intégralement reprise par ce même Stanley L. Welsh et le botaniste Kaye Hugie Thorne dans la première description qu’ils publient de Sclerocactus blainei trouvé dans le comté de Nye au Nevada au début des années 1980 (New Sclerocactus (Cactaceae) from Nevada in The Great Basin Naturalist, Vol. 45, n° 3 (31 juillet 1985), pp. 553-555). La photographie ci-dessous de l’apex d’un jeune spécimen de Sclerocactus blainei montre les marques de cette pubescence sur les épines centrales adaxiales et abaxiales turgescentes. Ces épines naissantes portent des couleurs rosées presque luminescentes. blainei-SB1015-2015a

Voir aussi la suite Clé de détermination.

 

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