Sclerocactus wrightiae et fourmis rouges

Il y a quelque chose de terrifiant à voir un bataillon de fourmis d’une couleur flamboyante ingurgiter de manière frénétique les boutons floraux d’un spécimen de Sclerocactus wrightiae. C’est au cours de cette année 2017 que j’ai été amené à constater la voracité des fourmis – ou de certaines fourmis – pour les fleurs et les bourgeons floraux de ces cactées. 

J’avais entendu parler de ce phénomène il y a quelques années déjà et j’avais observé sur de nombreux spécimens de Sclerocactus – plus d’une fois notamment sur l’espèce parviflorus très répandue mais aussi en 2014 sur l’espèce glaucus un peu plus rare et très localisée – que l’extrémité de leurs boutons floraux sur le point de s’ouvrir avait été sectionnée, comme décapitée. Parfois, c’était toute la moitié du bourgeon floral, avec étamines et pistil, qui avait disparu. La découpe de cette décapitation n’était jamais nette, mais toujours irrégulière. Je soupçonnais quelques insectes d’être à l’origine de ces grignotages méthodiques, mais sans jamais prendre ces derniers sur le fait. Cette fois, je les ai vus à l’œuvre. 

Je ne connais que peu de choses à propos des fourmis sinon que la plupart sont omnivores, particulièrement attirées par tout ce qui est sucré, et qu’elles s’adaptent sans difficulté aux ressources que leur procure leur milieu de vie. Nous sommes à la fin du mois d’avril, en pleine période de floraison des Sclerocactus wrightiae. Le spécimen photographié ci-dessus se trouve dans un secteur aride de l’ouest du San Rafael Swell en Utah. Dans ce petit coin de désert où insectes et graminées sont rares, des bourgeons floraux sur le point de s’ouvrir exsudent du nectar afin d’attirer les pollinisateurs. Toutes les pièces florales représentent par leur texture, leur turgescence, un formidable festin. Dans leur quête de nourriture, ces fourmis n’ont-elles pas été attirées par le très léger parfum qu’exaltent habituellement les fleurs de wrightiae sur le point de s’ouvrir ? Dans le genre Sclerocactus, les espèces qui produisent des fleurs légèrement parfumées sont les espèces glaucus, polyancistrus, wetlandicus et wrightiae

On remarque sur la macro photo ci-dessus que ce wrightiae porte distinctement sept boutons floraux, les uns plus nettement décapités, « consommés », que d’autres. Le dernier de ses boutons, encore bien visible, est à son tour pris d’assaut. Il va disparaître bien vite. En moins d’une journée, l’apex de ce petit cactus sera entièrement « nettoyé ». Ce spécimen est apparemment en pleine santé. On peut supposer qu’il le restera malgré et après la razzia de ces fourmis sur une partie de son intégrité. Mais il ne pourra pas contribuer – cette saison pour le moins – à la propagation de son espèce.

Les fourmis qui nous intéressent ici pourraient être de l’espèce (qui s’en rapproche le plus) Pogonomyrmex barbatus, appelées aussi fourmis rouges moissonneuses très répandues et communes dans tout le sud-ouest des Etats-Unis (Arizona, Californie, Nevada, Nouveau-Mexique, Texas, Utah). Avant de pouvoir observer sur la tige de ce Sclerocactus wrightiae leur va et vient fébrile et méthodique, ainsi que la redoutable efficacité de leurs puissantes mandibules, je n’imaginais pas qu’une telle interaction destructrice puisse exister entre ces insectes et ces cactées. Avais-je cependant assisté à un cas particulier ? Un peu plus loin, à moins d’une centaine de mètres, je pouvais voir d’autres spécimens de wrightiae dont l’un, photographié ci-dessous, était lui aussi en proie à une razzia identique et frénétique. 

A la vue de ces photographies, on ne peut pas ne pas remarquer les différences d’aspect entre ces deux wrightiae. Ces cactées se trouvent dans le San Rafael Swell, en bordure de l’une des nombreuses pistes de terre battue qui bordent le versant sud de l’Interstate 70. On est au cœur de la zone de distribution de Sclerocactus wrightiae. Dans cette immensité, il se trouve cependant quelques secteurs géographiques assez localisés où peuvent s’observer deux phénomènes qui touchent particulièrement cette espèce. D’une part sa propre et assez grande variabilité, un peu à l’image de celle que montre l’espèce parviflorus, mais dans un espace géographique beaucoup plus restreint que celui occupé par cette dernière. D’autre part, son hybridation plus ou moins prononcée selon les spécimens avec l’espèce parviflorus. Montrant des couleurs d’épines et de fleurs propres à celles de l’espèce, le premier spécimen semble plutôt illustrer la variabilité des wrightiae. Sa couverture d’épines est nettement plus fournie (en nombre et longueur d’épines) que celle habituellement observée sur les wrightiae, de même que sa tige est plus élancée et moins aplatie ou déprimée à son sommet. 

Le second spécimen photographié semble, lui, ne pas montrer d’hybridation. On remarque surtout que sa tige plus aplatie, avec une dépression marquée à son sommet, porte des tubercules plus développés, plus arrondis, que ceux que montre le premier spécimen. Ses épines radiales sont aussi moins nombreuses, au nombre de 7 à 8 par aréole alors que ce nombre peut aller de 5 à 10. Son épine centrale abaxiale la plus longue, également blanche, est bien terminée par une pointe en hameçon dont l’extrémité est toujours brunâtre à noirâtre. Son épine centrale adaxiale, blanche elle aussi, a comme il se doit une forme nettement aplatie sur presque toute sa longueur, tout en étant parfois légèrement coudée.

 

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