Kenneth D. Heil (période 1990-2010)

Depuis la fin des années 1960, il est admis avec L. Benson (1966, A revision of Sclerocactus, CSJ 38 ; 1982, The Cacti of the United States and Canada) que tous les spécimens de Sclerocactus qui ne portent pas d’épines à pointe crochue et qui sont rencontrés dans le centre-ouest du Colorado, autour des villes de Grand Junction et de Montrose, ainsi que dans le nord-est de l’Utah aux alentours de la ville de Vernal, sont considérés comme espèce glaucus et portent tous le nom vernaculaire de Uinta Basin hookless cactus.

La situation de ce taxon va évoluer à la suite de la publication de listes de plantes particulièrement affectées par la dégradation de leurs habitats. Les unes sont menacées d’y être en voie d’extinction, d’autres s’y trouvent déjà, et d’autres encore sont éteintes. Après une première liste de 3100 plantes établie par l’Institut Smithsonian (1975), des listes émanant de divers organismes viennent s’ajouter à des pétitions qui attirent l’attention de l’U. S. Fish and Wildlife Service sur la situation critique de certaines d’entre elles, dont Sclerocactus glaucus. Ces actions débouchent sur le vote de l’Endangered Species Act du 11 octobre 1979. S. glaucus s’y trouve classée « Threatened », précisément « menacée d’être en voie d’extinction dans un proche avenir et dans tout ou partie de son milieu naturel », un classement qui précède le stade plus critique « Endangered », en voie d’extinction.glaucus-Pyramid-1473-2014

Si la dégradation d’une partie des habitats de ces plantes est dénoncée d’une manière générale et avec des origines diverses, une exploitation commerciale avec collecte souvent illégale de graines vient aggraver la situation d’un petit nombre d’entre elles. S. glaucus se trouve parmi celles-ci, ainsi que des cactées nouvelles qui lui sont proches morphologiquement, cactées découvertes au sein même de sa zone de répartition et dont les premières descriptions font rapidement l’objet de publications. Car, au cours de ces années 1980, Fritz Hochstätter a étudié cette espèce glaucus au Colorado et en Utah, et particulièrement dans la zone centrale du Bassin Uinta. Il s’est aperçu que des variantes, notables selon lui, existaient parmi ces glaucus, au point qu’il lui paraît nécessaire de publier plusieurs descriptions. Les premières, en 1989, portent sur S. wetlandicus (Succulenta (Netherlands) 68(6) : 123-126, f.) et, en 1993, sur S. wetlandicus ssp. ilseae (Succulenta (Netherlands) 72(2) : 86-92, f.). Le nom d’espèce est tiré du secteur géographique appelé Pariette Wetlands situé au nord-est de l’Utah et duquel proviennent les premiers spécimens observés. Le nom de sous-espèce reprend le prénom Ilse de l’épouse de F. Hochstätter.

wetlandicus-Pariette-0132-2011En 1994, S. wetlandicus ssp. ilseae est passée du rang de sous-espèce à celui d’espèce par Kenneth D. Heil et J.Mark Porter sous le nom de S. brevispinus (Haseltonia 1994. 2 : 26). Ils écrivent : « La répartition de S. brevispinus forme une bande de populations disséminées d’est en ouest. A l’extrémité ouest, les populations sont caractérisées par des plantes avec des tiges globulaires à sommet déprimé, de courtes épines radiales, absence d’épine centrale en position basse (crochue), et possédant des fleurs très courtes, de forme tubulaire, de couleur rose pâle. A l’extrémité est, quelques populations apparaissent comme des formes grandement introgressées (introgression = échange de gènes – ici de manière naturelle – avec une autre espèce compatible) et ne peuvent être techniquement considérées comme des S. brevispinus ». Il s’agit, à cette extrémité orientale, de spécimens de S. wetlandicus. wetlan-brevi-1358-2014Pour ces botanistes, S. brevispinus s’en distingue suffisamment par sa morphologie, par ses fleurs tubulaires (forme évasée en entonnoir chez wetlandicus) et par ses épines centrales et radiales toujours de faible dimension ne dépassant pas 0,5 à 1 cm (contre 2 à 3 cm), d’où le nom de brevispinus, dérivé du latin brevis, bref, court, et de spina, épine.

Or, les secteurs géographiques dans lesquels poussent ces cactées, surtout S. brevispinus, intéressent de plus en plus la recherche pétrolière et gazière pour la richesse de leur sous-sol. Face à une exploitation énergétique rapide qui s’apprête à bouleverser une partie du nord-est de l’Utah, des organismes comme l’Utah Native Plant Society adressent alors en 2005 à l’U. S. Fish and Wildlife Service une pétition demandant de reconnaître officiellement et séparément ces espèces wetlandicus et brevispinus comme « Threatened » et de ne plus les inclure sous le seul nom de glaucus. Des propositions allant dans le même sens ont d’ailleurs émané de la 10e session du Comité pour les plantes de la CITES (Convention sur le Commerce International des Espèces de Faune et de Flore Sauvage menacées d’Extinction, PC.10.9.2, 15 décembre 2000).

L’U. S. Fish and Wildlife Service va s’appuyer principalement sur les publications de F. Hochstätter et sur les études de botanistes tels que Kenneth D. Heil et J. Mark Porter pour décider de la division de cette espèce glaucus en trois espèces distinctes. Or, une espèce (végétale) ne répond pas à une définition universelle, mais à plusieurs définitions qui utilisent des critères principalement descriptifs (morphologie) mais aussi écologiques (géographie, sol,…), temporels (cladistique), génétiques (isolement sexuel, non hybridation). La morphologie n’étant pas décisive, on a recours aux études phylogénétiques moléculaires des séquences d’ADN. Certes, ces études ne contribuent pas directement à l’objectif de division d’une espèce en plusieurs autres, tant sont bien évidemment minimes les différences génétiques entre elles. Mais, comme le souligne Root Gorelick du Département de Biologie de l’Université d’État d’Arizona (DNA sequences and cactus classification – a short review, Bradleya, 20/2002), les informations provenant de ces séquences d’ADN sont à même d’apporter aux botanistes des informations nouvelles et complémentaires à la botanique traditionnelle sans être destinées pour autant à engendrer une classification ultime de toutes les cactées. Ces études ont pour finalité de déterminer l’histoire évolutive des espèces et d’établir les relations de parenté qui peuvent exister entre elles.Pariette-1308a-2014

Une étude phylogénétique va apporter des résultats étonnants sur les relations qui existent non seulement entre les espèces du genre, mais au-delà de celui-ci, en mettant à jour des liens forts qui rattachent le genre Toumeya et son espèce monotypique papyracanthus au genre Sclerocactus (Kenneth D. Heil et J. Mark Porter, 2000, Relationships between Sclerocactus and Toumeya (Cactaceae) based in chloroplast trnL-F sequences, Haseltonia 7 :8-23). Et les résultats obtenus pour les espèces glaucus, wetlandicus, brevispinus, sont particulièrement observés. Pour le Flora of North America Editorial Committee (vol. 4, 2004), si « les « analyses phylogénétiques des séquences d’ADN (J.M. Porter et al, 2000) apparaissent ambiguës quant à la plus étroite parenté que pourrait avoir S. wetlandicus » avec une espèce du genre en particulier, elles permettent de dire que « cette espèce est néanmoins apparentée à S. brevispinus, S. glaucus, S. wrightiae, S. whipplei et S. parviflorus ». Concernant S. brevispinus à la morphologie et aux dimensions d’épines jugées proches de celles de S. mesae-verdae, Flora of North America rapporte que « les analyses phylogénétiques des séquences d’ADN (J.M. Porter et al, 2000) viennent appuyer une ascendance plus étroite avec S. whipplei, S. cloverae (=S. whipplei ssp. heilii), S. glaucus, S. parviflorus, S. wetlandicus et S. wrightiae, qu’avec S. mesae-verdae ».

glaucus-Pyramid-0349-2014Jusqu’où est-on allé dans cette exploration génétique du genre Sclerocactus stricto sensu ? Jusqu’où peut-on aller dans la mesure où, comme l’indique Root Gorelick, les séquences d’ADN recèlent des mécanismes et des rythmes d’évolution encore incompris aujourd’hui ? Et surtout, jusqu’où veut-on aller ? Si, dans cette première moitié des années 2000, des relations de parenté sont clairement établies entre Sclerocactus stricto sensu, on ne peut déterminer de liens plus forts ou exclusifs qui rattacheraient certaines espèces à l’intérieur de ce genre.

Dès 2004, S. brevispinus est reconnue comme nouveau taxon par les botanistes Kenneth D. Heil et J. Mark Porter pour lesquels « la combinaison de côtes arrondies, de courtes épines, et de petites fleurs roses font que S. brevispinus est aisément identifiable… » (Flora of North America Editorial Committee, vol.4). Pour le botaniste S. L. Welsh, S. brevispinus est un nouveau taxon mais sous le nom de Sclerocactus whipplei var. ilseae (Welsh et al, A Utah Flora, 4th Edition. 2008). Et en septembre 2009, l’U.S. Fish and Wildlife Service, ainsi que l’organisme Flora of North America, séparent l’espèce glaucus en trois espèces distinctes, toutes classées « Threatened » : S. brevispinus (Pariette cactus), S. wetlandicus (Uinta Basin hookless cactus) et S. glaucus (Colorado hookless cactus). Ces appellations qui s’accompagnent chacune d’un nom vernaculaire précis s’appuient également, ce qui est important, sur des aires de répartition distinctes. Si S. brevispinus voit son territoire limité à un petit secteur appelé Pariette Draw dans la partie centrale du Bassin Uinta, S. wetlandicus se répartit plus largement dans ce même Bassin alors que S. glaucus ne se rencontre que dans une partie du centre-ouest du Colorado. Cette espèce glaucus devient alors endémique du Colorado.Repart1-BreviGlauWet

Kenneth D. Heil va aussi travailler sur Sclerocactus sileri. Il est admis aujourd’hui que le premier spécimen a été très vraisemblablement découvert en 1888 par Andrew Lafayette Siler (1824-1898) (voir Histoire du genre, partie « N.L. Britton et J. N. Rose (période 1922-1950) ». Cette cactée a été rangée dans le genre Sclerocactus en 1969 par Lyman D. Benson sous le nom de S. pubispinus var. sileri (Cacti of Arizona, ed.3: 23, 179). Puis avec K.D. Heil, en 1994, elle va devenir pour la première fois espèce à part entière, Sclerocactus sileri (Haseltonia. 2 :39), avant de redevenir sous-espèce, renommée Sclerocactus whipplei ssp. busekii en 1995 par Fritz Hochstätter dans la revue Succulenta (74 (1) :38-44). Le nom de sous-espèce donnée par Hochstätter honore un cactophile tchèque, Josef Busek (Cactus Explorer (2): 45. 2011).

glaucus-Pyramid-1479-2014 Pour Hochstätter, ce nouveau nom traduit les difficultés à différentier nettement selon lui et à l’époque tous les traits morphologiques de ces spécimens de ceux des Sclerocactus spinosior implantés plus au nord et des Sclerocactus whipplei répandus plus à l’ouest. Il voit cependant dans la couverture d’épine de ces busekii, dans la présence d’une épine centrale assez proche dans sa forme de celle typique aux whipplei, dans la morphologie des fleurs et aussi dans quelques aspects de leur phénologie, plus de ressemblances avec Sclerocactus whipplei (Cactaceae-Review IRT, Vol.9, 1, 2006).

En fait, au cours de ces années 1990-2000 et en fonction de leurs lieux de collecte, de nombreux spécimens dits de « busekii » vont s’avérer être plus ou moins des spécimens hybridés avec l’espèce parviflorus dont la répartition vient au contact de celle de l’espèce « pure » sileri. Dans le secteur aujourd’hui protégé du Vermilion Cliffs National Monument, l’espèce « pure » sileri se cantonne encore et seulement dans des espaces étroits et en altitude, alors que les spécimens aux alentours, hybridés, ne présentent plus véritablement les caractéristiques morphologiques propres aux sileri.

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