Après une journée passée à la recherche de spécimens de Sclerocactus, il arrive qu’une soirée au restaurant réserve quelques bonnes surprises qui ne sont pas seulement gustatives. Le soir du 1er mai 2014, à Bloomfield, Nouveau-Mexique, nous allons dîner dans un restaurant et nous choisissons de nous installer au long comptoir qui fait face à ses cuisines, au coude à coude avec d’autres clients. Notre commande passée et dans l’attente d’être servi, nous déplions une carte pour revoir notre parcours du jour et parfaire celui du lendemain. Deux hommes, attablés à nos côtés et curieux de nous voir avec cette carte, engagent alors la conversation et apprennent ainsi la passion pour les cactées qui nous amène à voyager dans la région.
Nous leur racontons que nous allons explorer le lendemain des secteurs proches de Bloomfield où nous avons de bonnes chances de trouver des spécimens de Sclerocactus cloverae (S. whipplei ssp. heilii). Nous leur montrons sur notre carnet de route une photo de ce cactus avec sa fleur. Ils ne savent rien de cette plante mais, natifs de Bloomfield et connaissant bien la région, ils nous disent l’avoir déjà vu.
Dans un premier temps, ils nous déconseillent fortement de nous rendre dans les secteurs que nous souhaitons explorer. Ils sont situés dans une réserve indienne où éclatent depuis quelques semaines des mouvements d’opposition à tout ce qui peut représenter l’Amérique blanche. Nous y risquons des actes de malveillance, vitres de voiture brisées, pneus crevés, voire aussi des actes d’intimidation par armes à feu. Des citoyens américains y ont été récemment blessés. S’aventurer en cette période sur le territoire de cette réserve indienne est donc plus que risqué pour nous. Ils nous disent ensuite avoir le souvenir que les cactus que nous recherchons sont tout autour de Bloomfield et qu’il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour en voir. Ils savent où en trouver. Et de nous donner rendez-vous le lendemain 2 mai, 8h du matin à ce restaurant, pour partager un café puis nous guider en voiture pour voir « nos » cactus !
Ce qui est fait le lendemain matin dans la bonne humeur et avec une grande cordialité. Sauf qu’au bout d’une heure de temps passée en recherches, nous n’avons pas encore vu un seul spécimen de Sclerocactus. Ce n’est pas faute pourtant d’avoir suivi, sans le perdre dans la poussière des pistes, leur gros et rugissant pickup Nissan 8 cylindres de couleur rouge pompier. Ce n’est pas faute non plus d’avoir exploré lors de nos différents arrêts tous les recoins du terrain, y compris des zones bien trop sablonneuses pour espérer y trouver ces cactus. Malgré cette déconvenue, nous ne sommes pas encore inquiets car on voit bien que nos amis à la mémoire défaillante se démènent au milieu de nulle part pour nous trouver « nos » cactus.
C’est alors qu’ils ont l’idée de joindre par téléphone un de leurs amis qui, ayant participé il y a quelques années à la construction d’une route à proximité de Bloomfield, leur avait raconté avoir vu à cette occasion de nombreux cactus sur le tracé de celle-ci. Des cactus dont la plupart avaient été malheureusement détruits sur place. La chance nous sourit alors doublement : non seulement cet ami se souvient de l’endroit où il est encore possible d’en voir, mais il est aussi désormais à la retraite, libre de son temps. Et de se donner rendez-vous dans le quart d’heure suivant.
C’est ainsi que le 2 mai 2014, un peu après 10 h du matin, nous découvrons avec surprise, à moins d’une quinzaine de mètres d’une route bruyante à grande circulation et sur une parcelle de terrain libre d’accès, plus d’une centaine de spécimens de S. whipplei ssp. heilii, tous plus beaux et plus spectaculaires les uns que les autres. Des spécimens adultes, des spécimens juvéniles, un très grand nombre portant des fleurs largement écloses compte tenu du ciel sans nuage de cette matinée. Ce n’est que vers 13h30, plus de trois heures plus tard, que nous quittons repus ce lieu magique, la tête pleine de belles visions, tout comme les cartes mémoires de nos appareils photographiques.
Le soir, de retour au restaurant afin que tous puissent voir nos photos, l’un deux nous avoua être passé le long de ce fameux terrain quelques deux heures après nous avoir quitté et, nous apercevant encore sur place, ne pouvoir alors s’empêcher de penser « Sont fous, ces Français !!? ».