Pour qui s’intéresse aux cactées, il peut y avoir du bonheur mais aussi de l’émotion à se retrouver sur les lieux où, pour la première fois, a été vu et collecté un cactus jusque-là inconnu de la science botanique. La photographie ci-dessous prise le 6 mai 2015 montre quelques-unes des étendues de la vaste plaine sablonneuse et rocailleuse dénommée Lithodendron Wash où ont été découverts en 1853 les premiers spécimens de ce qui deviendra Echinocactus whipplei, renommé par la suite Sclerocactus whipplei (Britton et Rose, The Cactaceae, 1922). Cet environnement est situé en Arizona à moins d’une trentaine de kilomètres de la ville de Holbrook et des rives du Petit Colorado (Little Colorado River).
L’année 1853 se place dans la grande époque de la conquête de l’Ouest qui chamboule et façonne le territoire américain avec les flots d’émigrants à la recherche de terres dès les années 1841/1842, ou encore avec la découverte de l’or au tout début de 1848. Le territoire mexicain est également bouleversé avec la fin de la guerre de 1846 entre le Mexique et le jeune Etat Américain, guerre qui se termine pour le Mexique par la perte notamment de l’Arizona, du Nouveau-Mexique et de la Californie. Depuis les rives du Mississipi jusqu’à la côte Pacifique, plus de trois milles kilomètres de terres inexplorées s’ouvrent alors à de grandes expéditions.
Il y en aura six, ordonnées par le gouvernement américain, qui s’emploieront principalement à créer des routes commerciales. Entre juillet 1853 et mars 1854, une de ces expéditions a pour objectif en suivant le 35ème parallèle de déterminer un tracé ferroviaire entre le Mississipi et la côte Ouest. C’est au cours de cette expédition conduite par le Lieutenant Amiel Weeks Whipple (1818-1863) que sont trouvés les premiers spécimens d’Echinocactus (Sclerocactus) whipplei. Toutes les observations et informations collectées durant cette expédition ont été consignées dans cinq volumineux rapports. Le rapport n°5 consacré à la botanique sera rédigé par John Milton Bigelow (1804-1878) et le Dr George Engelmann (1809-1884), les botanistes de l’expédition (voir page Nathaniel Lord Britton et Joseph Nelson Rose (période 1922-1950).
Dans sa description première d’Echinocactus whipplei (1856-1857), G. Engelmann souligne les caractéristiques de son épine centrale supérieure, « la plus longue et la plus large de toutes, mesurant (d’après les spécimens collectés) 3 à 4,5 centimètres de long, et large d’au moins 2,5 millimètres à la base, rectiligne et dirigée vers le haut et presque contiguë avec les épines radiales dont elle semble compléter le cercle que forment ces dernières ». En l’absence de ses fleurs de couleur crème à blanchâtre, Sclerocactus whipplei est morphologiquement une espèce assez facilement reconnaissable. Sa couverture d’épines est en effet caractérisée par une épine centrale supérieure qui se remarque immédiatement parce que tranchant nettement d’aspect avec les autres épines.
Bien que faisant partie des épines dites centrales, elle est positionnée tout en haut de l’aréole, presque dans le cercle de ses épines radiales. De couleur blanchâtre à ivoire, avec une pointe souvent de couleur brune noirâtre, elle est habituellement rectiligne sur toute sa longueur. Et même s’il lui arrive d’être parfois légèrement courbée ou arquée, elle pointe immanquablement vers le haut de la tige. Elle prend la forme d’une lame de dague ou de sabre. Mais sa plus grande particularité est d’être de section aplatie alors que toutes les autres épines de l’espèce sont de section ronde ou quadrangulaire. C’est enfin la plus longue épine de toutes celles observées sur les whipplei. Elle peut atteindre 6 à 7 cm de longueur, dépassant en longueur l’une de ses autres épines centrales qui forme avec elle un angle de presque 90° et dont la pointe se termine en forme d’hameçon.
Aujourd’hui, la vaste plaine sablonneuse et rocailleuse de Lithodendron Wash est située pour partie dans les limites du Parc National de la Forêt Pétrifiée (Petrified Forest National Park). Mais il n’y a plus de Sclerocactus whipplei dans les limites du parc. Les documents officiels distribués aux visiteurs de ce parc privilégient bien naturellement l’univers minéral, les bois fossilisés et les paysages très colorés qui font toute sa richesse. Ils ne parlent guère de sa végétation. Seule une modeste brochure de deux pages liste les espèces végétales que l’on peut y rencontrer. Pour ce qui concerne les cactées, des Echinocereus coccineus, des Escobaria vivipara ssp. arizonica, des Opuntia erinacea, fragilis, macrorhiza, des Cylindropuntia whipplei et quelques petites colonies de Sclerocactus (Toumeya) papyracanthus.