Photographié ci-contre en 2012 à proximité des Monts Confusion dans le comté de Millard en Utah, ce Sclerocactus spinosior n’existe plus. De même que n’existent plus toutes les herbes basses et les graminées qui l’entourent sur cette photographie. A cet endroit, la terre est désormais piétinée, rappée, presque nue. Un spectacle que j’étais bien loin d’imaginer en préparant mon voyage de 2017. Je m’étais dit que ce serait une joie de revoir le site que j’avais découvert en 2012. Ce spinosior et la vingtaine d’autres qui s’y trouvaient avaient alors fait mon bonheur. Ils poussaient loin d’une route ou même d’une piste en terre battue, dans une zone éloignée de toute présence humaine mais, malheureusement, pas de celle de bovins en liberté à la recherche de leur pâture. Comme beaucoup de petits cactus, mais aussi d’autres végétaux plus rares encore que certains Sclerocactus, ce spécimen de spinosior est une des victimes de l’open range. Plus précisément, une victime des dégradations qu’entraîne un open range outrancier.
Aux Etats-Unis, dans de nombreuses régions agricoles, l’open range désigne de grandes étendues de terres à pâturage sur lesquelles paisse du bétail en toute liberté. Ce bétail peut appartenir à un ou à plusieurs fermiers dont les terres ne sont pas clôturées entre elles sauf à leurs limites extérieures. Le bétail de ces fermiers se trouve donc en complète liberté d’y circuler, de jour comme de nuit, y compris sur les routes parfois très fréquentées qui les traversent mais qui, elles, ne sont protégées par aucune clôture ou barrière empêchant le bétail de les emprunter ou de s’y tenir. D’où la présence le long de ces routes de panneaux avertissant les automobilistes du danger que peut représenter ce bétail éventuellement présent sur la chaussée.
Cet open range s’apparente aujourd’hui encore à une institution, à une tradition. Elle remonte à l’afflux de colons européens émigrant vers les Etats-Unis à partir des années 1850/1860 et à une loi de 1862 (Homestead Act) visant à aider ces colons à s’installer sur des terres qui devaient leur permettre d’en vivre. La délimitation des terres agricoles ne pouvant se faire aisément compte tenu de cet afflux toujours croissant de colons, les fermiers de nombreux états prirent l’habitude de laisser paître leur bétail librement sur de vastes étendues leur appartenant, de fait mises en commun, après avoir toutefois marqué leurs bêtes. En 1874, l’apparition du fil de fer barbelé permit une stricte délimitation des terres agricoles et limita considérablement la pratique de l’open range qui perdure néanmoins encore dans nombre de zones rurales.
Piétinements et coups de sabots peuvent être dévastateurs et laisser d’horribles traces sur la tige des cactus. Comme sur ce spécimen de Sclerocactus wrightiae photographié ci-dessus non loin des limites nord du Parc National de Capitol Reef, dans le secteur sud-ouest du San Rafael Swell en Utah. La liberté laissée à des bovins en quête de pâture et l’absence totale de clôture les amène souvent à errer sur des sols qui n’ont rien d’une terre à pâturage et qui, comme ici, s’apparentent plutôt à celle de badlands. Mais c’est dans ce type de sols que poussent précisément les wrightiae. Des sols alluvionnaires toujours à fine texture, souvent chargés en coquilles d’huitres et coquillages fossilisés ou, comme sur cette photographie, des sols d’origine sédimentaire qui montrent aussi une fine texture, un peu sablonneuse, légèrement gypseuse et saline, plus ou moins chargée en petits graviers.
On peut voir dans ce sol souple l’empreinte des sabots qui ont amputé presque la moitié de la tige de ce spécimen. Ce wrightiae a eu la chance de ne pas être déterré par ce mauvais coup de patte. Il porte encore ses fleurs et portera sans doute des fruits. Mais on peut craindre que se soient les derniers, car l’importante blessure qui atrophie désormais sa tige ne lui permettra pas de survivre encore plusieurs saisons. Il finira par se dessécher comme cet autre spécimen de wrightiae photographié ci-dessous, à la tige effroyablement écrasée, du côté de Notom, aux portes de ce même Parc National de Capitol Reef.
Comme beaucoup d’autres cactus du fait de leur rareté, Sclerocactus wrightiae a souvent fait l’objet d’études destinées à mesurer l’impact que pouvaient avoir différentes menaces sur sa survie (sécheresse et dérèglement climatique, insectes ravageurs, cueillette illégale, véhicules tout-terrain, libre pâturage). Ainsi, en août 2008, le Service Américain de la Pêche et de la Nature de l’Utah (U.S. Fish and Wildlife Service Utah Field Office) publiait une enquête de plusieurs années consacrée à la préservation de cette espèce dans divers secteurs de sa zone de répartition en Utah (Wright Fishhook Cactus (Sclerocactus wrightiae L. Benson) 5-Year Review: Summary and Evaluation). Cette enquête observait notamment que le nombre de spécimens de toute taille était en diminution dans les limites du Parc National de Capitol Reef où perdure l’open range, alors qu’il se trouvait en progression dans les secteurs n’étant pas en pâture. Les spécimens adultes de plus grande taille étaient plus nombreux à être déterrés et détruits dans les zones en pâture, ces spécimens n’étant souvent plus protégés par une végétation de buissons eux-mêmes pâturés. Cette destruction entraînait par ailleurs une floraison plus limitée dans ces zones avec pour conséquence une diminution du potentiel de reproduction de l’espèce. Cette enquête concluait que Sclerocactus wrightiae devait conserver son classement d’espèce « en danger d’extinction » dans toute ou partie de sa zone de répartition.
Aujourd’hui, la liste rouge (The IUCN Red List of Threatened Species) des espèces menacée tenue par l’UICN – International Union for Conservation of Nature, range Sclerocactus wrightiae parmi les espèces « quasi menacées » (« Near threatened »). Aux menaces citées précédemment toujours d’actualité s’ajoute son hybridation grandissante avec Sclerocactus parviflorus, hybridation dont l’ampleur au début des années 2000 n’était pas encore très bien mesurée.