Sclerocactus parviflorus et intempéries, Utah

7 mai 2019, 8h du matin. Grand soleil et ciel bleu à l’est, mais nuages au sud-ouest toujours bien trop nombreux à mon goût pour que ce jour, comme les précédents, ne se termine pas entièrement sous les nuages et avec peut-être de la pluie. Il me faut donc profiter sans tarder de cette belle lumière matinale, ce qui m’incite à rouler un peu plus vite que d’habitude sur l’une des pistes en terre battue de la zone nord du San Rafael Desert en Utah. Je connais un peu cette piste pour l’avoir déjà emprunté. Assez roulante, elle ne compte que quelques passages moins rapides où affleure la caillasse.

Cette piste permet d’accéder à des sites abritant quelques beaux spécimens de Sclerocactus parviflorus à fleurs roses et longues épines blanches. Ces cactus sont éparpillés en petites colonies et je veux revoir ce matin la plus proche d’entre elles composée d’une vingtaine de spécimens tout au plus. Je ne l’ai pas revue depuis 2016. Comment a-t ‘elle évolué ? Avec un peu de chance, et si je me réfère à d’autres parviflorus rencontrés hier et avant-hier dans la proche région, ces cactées devraient être en fleur.

J’ai en mémoire l’environnement dans lequel se trouvent ces parviflorus. Ils sont disséminés sur un talus long d’une bonne centaine de mètres, versant ouest de la piste, talus peu élevé où affleure à mi-pente une rangée de rochers aux arêtes saillantes. Des spécimens âgés à tiges un peu hautes occupent plutôt le haut du talus, d’autres plus jeunes la partie basse. Mais, surprise, arrivé sur place, je n’aperçois aucun cactus et ne reconnais pas vraiment le paysage. Je roule lentement sur deux à trois cents mètres puis fais demi-tour avant de descendre du 4×4. Mes notes de 2016 sont pourtant formelles, je suis bien au bon endroit et je devrais déjà apercevoir quelques spécimens. Mais je ne vois rien.

Je remarque d’abord les traces de pneus de plusieurs véhicules qui ont quitté la piste pour monter sur ce talus et s’aventurer dans le paysage. Ce n’est jamais bon signe. Je m’éloigne du talus, marche une centaine de mètres en portant mon regard au loin et en imaginant confondre ce paysage avec un autre. Puis, revenant sur mes pas et bénéficiant alors d’une vue plus générale, je suis soudainement frappé par une évidence : la couleur grise du paysage. Tout y est gris : la piste, les à-côtés de celle-ci, le talus jusqu’à son sommet. Autre évidence : hormis quelques maigres buissons, il n’y a plus de végétation, aucune des herbes basses et graminées qui dans les paysages traversés par cette piste tapissent habituellement le sol.

Perplexe, je passe quelques minutes à arpenter ce talus, essayant de comprendre ce qui a bien pu se passer, lorsque mon œil est attiré par deux petites formes pointues, d’un jaune clair presque lumineux, qui semblent posées sur le sol.

Je découvre alors avec surprise et stupeur les deux boutons floraux d’un parviflorus dont la tige encore petite est presque entièrement recouverte par des débris végétaux mêlée à de la terre grisâtre et séchée. Ce cactus est d’autant moins repérable que son épiderme montre une teinte verte bleutée assez proche de la couleur plus grisâtre de la terre qui l’entoure et le recouvre presque totalement. Sa présence n’est donc trahie que par la seule couleur jaune claire de ses fragiles enveloppes florales que sont calices et corolles qui ne découvrent pas encore leur fleur. Et il faut être vraiment sur le cactus pour identifier les minces lignes blanches qui fusent autour de lui comme étant ses longues épines abaxiales.

En observant la surface du sol balafrée d’innombrables boursouflures et jonchée de débris végétaux mélangés à la terre séchée, j’imagine que des pluies torrentielles ont bouleversé le sol du haut de ce talus. Ces pluies ont transformé des pans de terre en coulées de boue, arrachant avec force la quasi-totalité de la végétation avant de recouvrir le paysage et obstruer la piste. Il y a là les conséquences d’intempéries très violentes mais aussi récentes au vu de la couche de terre et de débris qui recouvre encore ce cactus. Ce parviflorus est un rescapé.

Il ne sera pas le seul. Sur la vingtaine de spécimens dont j’avais noté la présence sur ce talus, je ne vais en retrouver que trois, ce qui est bien peu. Tous de petite taille, tous plus ou moins recouverts de terre, l’un plus meurtri que les deux autres en ayant notamment perdu quelques-unes de ces longues épines centrales abaxiales, mais tous porteurs de boutons floraux grâce auxquels il m’a été possible de les repérer. Je me suis dit en les photographiant que leurs fleurs à venir étaient quand même un beau message d’espoir.

Au moment de quitter ce qu’il restait de ce site, j’ai été tenté de nettoyer ces trois spécimens épargnés, ne serait-ce que sommairement et en utilisant une partie des quelques dix litres d’eau (potable) toujours rangés dans ma voiture lors de tous mes déplacements comme celui-ci en pleine nature. Mais j’ai pensé que ce n’était pas forcément leur rendre service. La terre dans laquelle ils se trouvaient montrait encore par endroits de grandes plaques d’humidité. Mon intervention allait de fait augmenter cette dernière autour d’eux et, surtout, en prolonger la durée, alors que vent et soleil s’employaient déjà à la réduire. Par ailleurs et bien qu’ils aient vécu un véritable cataclysme, ces cactus montraient précisément par leur floraison à venir qu’ils avaient échappé au pire. Je me suis donc abstenu de toute intervention. Poursuivant ma route, je me suis dit que la nature ferait bien mieux les choses que moi-même.

Il a plu un peu ce 7 mai 2019, sur le tard en fin d’après-midi, une pluie sans orage, une pluie fine et bienvenue propre à débourber plus encore ces parviflorus afin qu’ils retrouvent peu à peu fière allure et que la teinte rose soutenu de leurs fleurs vienne enfin égailler toute cette grisaille. La vie continue !

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Variabilité de Sclerocactus parviflorus

En 2019, mes itinéraires de voyage se sont limités, sur le Plateau du Colorado, à un grand quart sud-est de l’Utah, immense territoire qui depuis le site de Four Corners me situait quasiment au centre de la vaste zone de répartition de Sclerocactus parviflorus. Lors de ce voyage, j’ai constaté une fois encore la grande variabilité morphologique de cette espèce, pas seulement dans la couleur de ses fleurs aux nombreuses nuances de rose, pourpre et violet ou encore de jaune, mais également dans les divers habits d’épines qu’elle présente.

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Cette variabilité morphologique est bien connue. Au milieu des années 1960, Lyman Benson la soulignait déjà dans ses premiers ouvrages présentant le genre Sclerocactus alors que cette espèce parviflorus commençait à être sérieusement étudiée et portait encore les appellations de whipplei var. roseus et whipplei var. intermedius. On peut lire à la page 177 de la troisième édition de son livre The cacti of Arizona (1969) : « The species is variable. It may inclure more varieties than are listed here. Plants from near the ‘Four Corners’ country of Utah, Colorado, Arizona, and New Mexico are being studied, but these are too little know to determine whether they represent taxa ».

C’est dans le courant des années 1970 que le nom d’espèce whipplei var. roseus a été remplacé par celui de parviflorus (D. Woodruff & L.D. Benson, 1976, in Cact. Succ. Journal (Los Angeles)), dénomination donnée aux premiers spécimens découverts en 1941 (Clover & Jotter in Bulletin of Torrey Botanical Club).

En 1984, l’appellation whipplei var. roseus était cependant encore utilisée dans plusieurs études et notamment dans celles initiées par Stanley L. Welch. Dans sa nomenclature de la flore de l’Utah parue dans la revue Great Basin Naturalist (vol 44, n°1, pages 66-69), il mentionnait à propos de Sclerocactus whipplei var. roseus : « This variety is almost as variable as the species itself ». Welch citait à son propos les appellations variétales terrae-canyonae (« long slender spines and yellow flowers ») et intermedius qu’il caractérisait notamment à l’époque par son épine centrale adaxiale aplatie et torsadée, large de 1 à 3,5 mm à sa base, contrairement à celle observée sur whipplei var. roseus  (= parviflorus), aplatie non torsadée, droite, et ne dépassant pas 1 mm de large à sa base. Pour Welch également, d’autres études s’avéraient nécessaires à propos de cette espèce : « There are as many intermediates as there are extremes, and, until other diagnostic criteria are identified, it seems best to include all of the tremendous range of variation within an expanded var. roseus of  S. whipplei » (« Il y a autant d’intermédiaires que d’extrêmes et, jusqu’à ce que d’autres critères de diagnostic soient identifiés, il semble préférable d’inclure toute l’étendue des variantes dans une variété roseus élargie de S. whipplei »).

Aujourd’hui, selon la Taxonomie des Cactaceae de Joël Lodé (2015, vol.2, pages 198-200), cette espèce Sclerocactus parviflorus s’accompagne de trois sous-espèces : havasupaiensis (endémique de l’Arizona, répartition limitée à quelques secteurs isolés dans l’environnement très particulier du Grand Canyon du Colorado), terrae-canyonae et intermedius (l’une et l’autre très présentes en Utah), intermedius se différenciant principalement de l’espèce propre, selon les botanistes K.D. Heil et J.M. Porter, par la base plus large de son épine centrale adaxiale et par sa répartition à des altitudes moyennes comprises entre 1350 à 1800 mètres dans des environnements de pins et de genévriers, alors que S. parviflorus se rencontre à des altitudes moyennes plus basses entre 1050 et 1500 mètres (Sclerocactus (Cactaceae) : a revision, 1994, Kenneth D. Heil et J. Mark Porter, in Haseltonia, n°2, pages 20-46).

J’ignore si le circuit 2019 que j’ai effectué dans le grand sud-est de l’Utah m’a permis ou non de voir en matière de couverture d’épines de cette espèce parviflorus – et pour reprendre les mots de Welch -, plus d’intermédiaires que d’extrêmes. Ce qui est sûr, c’est qu’il m’aura permis de voir un grand nombre de parviflorus, plus d’une centaine assurément, ce qui est un bilan très satisfaisant pour une seule espèce dans le cadre d’un voyage dédié aux Sclerocactus, mais demeure bien peu à l’échelle du nombre et de la très vaste répartition géographique des parviflorus présents en Utah. Il reste que les spécimens rencontrés et observés montrent suffisamment de différences entre eux pour que celles-ci, petites ou grandes, se remarquent immédiatement. L’illustration ci-dessous réuni donc les photographies numérotées (avec mentions du comté et de l’altitude) de quelques-uns des spécimens adultes rencontrés les plus significatifs.

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L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est zutah-countymap1-246x300.jpg.Les numéros affectés à chacun de ces spécimens ont été reportés sur la carte de l’Utah ci-contre, ce qui témoigne de la dispersion géographique que peut avoir cette diversité même en ne réunissant qu’un petit nombre de plantes. A titre d’échelle kilométrique, la ligne de frontière à vol d’oiseau entre Utah et Colorado totalise près de 445 kms, celle entre Utah et Nevada de l’ordre de 555 kms. 

En faisant référence aux descriptions de l’organisme Flora of North America, Sclerocactus parviflorus montre par aréole 8 à 17 épines radiales et 3 à 8 épines centrales, soit une variation de plus du simple au double pour chaque type d’épine, ce qui est de nature à modifier sensiblement l’aspect que peut montrer un spécimen de parviflorus, espèce la plus largement répandue du genre Sclerocactus stricto sensu.

Cette très large répartition géographique, et donc la présence de spécimens dans nombre d’environnements aussi variés qu’ils peuvent être séparés les uns des autres, contribue à l’existence de ces différentiations plus ou moins accentuées. Ainsi, des aspects différents peuvent marquer des spécimens éparpillés dans des environnements spécifiques, au sein par exemple de comtés différents. A vol d’oiseau, près de 150 kms séparent le spécimen 1-Sevier Co du spécimen 2-San Juan Co, ce dernier étant lui-même distant d’un peu plus de 200 kms du spécimen 3-Carbon Co. La couverture d’épines de ces trois spécimens de parviflorus montre chacune suffisamment d’aspects particuliers et spécifiques pour que leurs différences soient immédiatement repérables.

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On observe sur le spécimen 1-Sevier Co (photo ci-dessus) un habit d’épines qui le distingue nettement de tous les autres spécimens ici rassemblés. Ses épines radiales sont au nombre de 10 à 12 par aréole, contre seulement 8 pour le spécimen 3-Carbon Co. Aucune couleur sombre ne vient marquer ses épines toutes blanchâtres et lumineuses, pas même au niveau de ses épines les plus juvéniles qui, parce qu’elles sont turgescentes, montrent des teintes éphémères le plus souvent très colorées. Sur ce parviflorus 1-Sevier Co, seules certaines épines centrales abaxiales, pour la plupart peu arquées, montrent une teinte brunâtre légère.

Si on se réfère à l’étude de Kenneth D. Heil et J. Mark Porter (Sclerocactus (Cactaceae) : a revision, 1994), ces deux spécimens s’apparenteraient à la sous-espèce intermedius. Ils se répartissent à des altitudes élevées, dans des environnements de pins pignons et de genévriers, et montrent dans un premier temps des épines centrales abaxiales plus ou moins colorées, rosâtre ou noirâtre. Par contre, leurs épines centrales latérales montrent des teintes différentes, blanche sur le spécimen du comté Sevier, colorées pour ne devenir blanche qu’avec le temps sur le spécimen du comté Carbon. L’observation attentive des épines centrales adaxiales du spécimen 1-Sevier Co révèle une forme légèrement arquée, beaucoup plus marquée et plus puissante que celle des centrales adaxiales du spécimen 3-Carbon Co. Mises à part leur couleur blanche et leur moindre longueur, ces épines adaxiales sont proches de celles généralement couleur paille qui caractérisent les spécimens de Sclerocactus whipplei. Les premiers spécimens de whipplei ne se rencontrent cependant que bien plus au sud, à plus de 200 kms de distance à vol d’oiseau.

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Des différences peuvent aussi apparaître à l’intérieur d’un même comté. Toujours à vol d’oiseau, le spécimen 2-San Juan Co (photo ci-dessus) est distant du spécimen 4-San Juan Co d’environ 125 kms. On remarque que la couleur mais aussi et surtout la forme nettement arquée sur toute leur grande longueur des épines centrales abaxiales du spécimen 2 ne s’observent pas sur les épines centrales abaxiales du spécimen 4. Ce spécimen 2 fait un peu penser à celui photographié dans l’ouvrage de W. Hubert Earle (Cacti of the Southwest, 3ème éd. 1990, page 126) sous l’éphémère appellation variétale blessingiae et qu’il avait observé en Arizona dans le Mohave Co : épine centrale abaxiale longue de 5 à plus de 9 cm, de couleur blanche à paille, radiales blanchâtres au nombre de 12 à 16, droites, longues de 1,5 à 2,5 cm .

En se référant encore à l’étude de Kenneth D. Heil et J. Mark Porter (Sclerocactus (Cactaceae) : a revision, 1994), et même si ces spécimens 2 et 4-San Juan Co se trouvent tous deux installés au-dessus de 1500 m d’altitude, le spécimen 2 s’apparenterait plus à l’espèce parviflorus qu’à sa sous-espèce intermedius qui, elle, caractériserait davantage le spécimen 4. Les épines centrales abaxiales du spécimen 2 sont d’une unique couleur blanche après avoir été couleur paille à leur stade juvénile. Elles sont aussi plus longues que celles du spécimen 4, lequel montre des épines centrales abaxiales d’une couleur nettement rosâtre à brunâtre.

En fait, le spécimen 2-San Juan se présente comme une variante possible entre des critères morphologiques qui font l’originalité de la sous-espèce intermedius et certains de ceux qui caractérisent plus nettement l’espèce parviflorus en propre et qui apparaissent très nettement sur des spécimens rencontrés dans les comtés de Grand et de Garfield.

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Les spécimens 5 et 7-Grand Co (photo ci-dessus) et le spécimen 6-Garfield Co sont en effet intéressants parce qu’ils montrent une couverture d’épines encore différente des précédentes et beaucoup plus fournie. L’originalité de leur couverture d’épines s’appuie principalement sur leurs épines radiales qui sont en plus grand nombre, 12 à 14 par aréole. Ces épines radiales ne s’y trouvent pas naturellement disposées en rayon mais assez regroupées de chaque côté de l’aréole, 4 à 5 d’entre elles, très proches les unes des autres à l’image des dents d’un peigne, ayant pour caractéristique de pointer horizontalement jusqu’à atteindre avec leur pointe l’aréole voisine grâce à leur longueur. Ce nombre et cette disposition d’épines radiales s’observent sur les deux spécimens rencontrés dans le comté de Grand, spécimens qui sont par ailleurs éloignés l’un de l’autre de moins de 30 kms à vol d’oiseau.

On remarque que le spécimen 6-Garfield Co présente lui aussi un nombre et une disposition des épines radiales proches de ce que montrent les spécimens 5 et 7-Grand Co, mais il se trouve, lui, à près de 130 kms de ces derniers. A la différence de ces derniers, il possède des épines centrales adaxiales plus longues, 10 à 12 cm contre 8 à 9 cm pour les spécimens Grand Co, alors que son diamètre de tige (hors épines) est de 10 cm.

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En se référant une fois encore à l’étude de Kenneth D. Heil et J. Mark Porter (Sclerocactus (Cactaceae) : a revision, 1994), ces spécimens 5 et 7-Grand Co et 6-Garfield Co installés en-dessous de 1500 mètres d’altitude apparaissent comme très caractéristiques de l’espèce parviflorus en propre de plus basse altitude, avec principalement de longues épines centrales abaxiales de couleur blanche ou paille et des épines centrales adaxiales de section plus fine que celle des centrales adaxiales que porte la sous-espèce intermedius.

Quelques mots à propos de la sous-espèce terrae-canyonae (photo ci-dessous). Elle est représentée dans notre illustration du début par le spécimen 8-San Juan. Sclerocactus ssp. terrae-canyonae est une espèce d’altitude qui se rencontre au-dessus de 1500 mètres, dans des environnements de genévriers et de pins pignons. D’une manière générale, elle semble assez proche d’aspect de la sous-espèce intermedius, sorte d’intermédiaire avec quelques variantes entre celle-ci et l’espèce parviflorus de plus basse altitude à l’image des spécimens 5 et 7-Grand Co.

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A partir d’un grand nombre d’exemplaires observés, elle paraît être caractérisée par des épines centrales abaxiales plutôt longues mais qui n’atteignent pas la très grande longueur de celles des spécimens 5 et 7-Grand Co et 6-Garfield Co. Alors que l’épine centrale adaxiale de couleur blanchâtre présente le plus souvent une quasi unique forme droite à l’image d’un glaive, les épines centrales latérales montrent selon les spécimens tantôt une couleur brunâtre à noirâtre, tantôt une couleur blanche à paille. Mais cette sous-espèce se caractérise sans doute plus par ses fleurs de couleur spécifiquement jaune.

Ces photographies, et le texte nécessairement succinct et rapide qui les accompagne, ont tenté de montrer la diversité que peut prendre la couverture d’épines de Sclerocactus parviflorus. Il y aurait tant à dire à propos de cette variabilité morphologique comme le suggère l’organisme Flora of North America. Ainsi, des études très complètes menées sur un grand nombre de spécimens et sur toute la zone de répartition de parviflorus pourraient peut-être conduire certains de ces spécimens, ceux qui en nombre se tiendraient plus isolés ou plus localisés que d’autres, à se voir élevés à un niveau de sous-espèce(s). Mais il faudrait en parallèle considérer le haut niveau des phénomènes d’introgression et d’hybridation qui semblent caractériser le genre et principalement cette espèce parviflorus, phénomènes dont on sait qu’ils impactent fortement certaines autres espèces du genre dans certains secteurs de leur zone de répartition, par exemple l’espèce glaucus au Colorado.

 

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Notes de culture 2019

Reprise de la végétation et premières fleurs

Chaque année, de novembre à février, doit se dérouler une période de dormance, un arrêt de la végétation, pour la très grande majorité des cactées, dont bien sûr les Sclerocactus. C’est une période de temps durant laquelle, tout en les privant de tout arrosage car leur substrat doit demeurer au sec, il convient de maintenir ces végétaux dans un froid sec d’une intensité à la mesure bien évidemment de ce qu’ils peuvent supporter et sans jamais trop d’humidité. Pour les Sclerocactus (et Pediocactus) en culture dans nos pays de climat océanique (Europe de l’ouest), les valeurs moyennes et suffisantes peuvent se situer de 15 à 10°C avec de possibles périodes passagères proches des 5°C. Cette période hivernale peut paraître longue, mais elle est nécessaire à la bonne santé et à la vigueur de ces végétaux. Et, non moins important, le froid qu’ils vont subir va aussi induire leurs floraisons.

A la suite de cette période de dormance, les Sclerocactus (ainsi que les Pediocactus) montrent une entrée en végétation assez précoce. Cette entrée en végétation se fait lentement, dès la mi-février ou fin février le plus souvent, mais aussi en fonction des conditions météorologiques qui précèdent l’arrivée du printemps. A l’inverse des conditions météorologiques de l’année 2018 où notre pays connaissait le froid et la neige durant la seconde moitié de février, celui-ci a connu durant toute la seconde moitié de février 2019 un épisode printanier avant l’heure assez exceptionnel. Des températures anormales parfois dignes de celles d’un mois de juin ont ainsi été relevées dans certaines régions, parfois un peu supérieures à 20°C en cours d’après-midi, alors que les températures nocturnes et matinales avoisinaient souvent le 0°C. Une remarquable amplitude de températures que connaissent dans leurs milieux naturels nombre de cactées nord-américaines, notamment Sclerocactus et Pediocactus, et qui leur est bénéfique.

Avec ces températures anormalement douces, l‘entrée en végétation des spécimens en culture de ces cactées ne s’est pas fait attendre, en avance sur celle apparue les années passées. Sur les aréoles à l’apex de quelques spécimens, on pouvait observer la production d’un nouveau duvet de couleur plus claire, premier signe de ce réveil de la végétation. Plus visibles encore, on pouvait ensuite y découvrir la pointe de nouvelles épines et celle de premiers boutons floraux.

Un premier arrosage de ces Sclerocactus (et Pediocactus) en culture a été effectué le 19 février (soit près de 3 semaines plus tôt que celui réalisé l’an passé, le 9 mars 2018). Avec une eau de pluie sans additif d’engrais, cet arrosage a consisté à mouiller prudemment la surface du substrat de l’un des côtés de leur pot. Ce substrat étant très drainant, la quantité d’eau parfois minime versée était néanmoins suffisante pour que cette eau l’humidifie utilement et se diffuse au niveau des racines. Il ne s’agissait, en aucune manière, de noyer le substrat de chaque pot. Un second arrosage du même type, toujours avec une eau de pluie sans ajout d’engrais, a été effectué le 5 mars (soit 2 semaines après le premier du 19 février). Un 3ème arrosage de ces Sclerocactus en culture (avec engrais cette fois) doit être effectué durant la première semaine d’avril.

Les semaines qui ont suivi celles anormalement chaudes de la seconde moitié de février ont été bien moins clémentes et presque de saison. Néanmoins, la reprise de la végétation de tous les spécimens en culture était générale et se poursuivait. On remarquait avec étonnement sur un spécimen de Sclerocactus blainei, semis de 2014 et globulaire encore de petite taille d’un diamètre de seulement 4cm, la pointe de plusieurs boutons floraux. Ces boutons floraux sur d’aussi petits exemplaires sont peu courants en culture. Ils ne sont toutefois pas allés à leur terme. On remarquait aussi en ce début d’année 2019 que se développait sur presque chaque spécimen un nombre conséquent de boutons floraux : de 6 à 9 sur des brevispinus, 13 sur un mesae-verdae, de 5 à 7 sur plusieurs glaucus. De quoi espérer de très belles floraisons, ce qui fut le cas.

Les premières fleurs ouvertes parmi les Sclerocactus en culture ont été celles d’un brevispinus et d’un mesae-verdae le 7 mars, mais précédée de celle d’un Pediocactus winkleri le 5 mars. Le mois de mars a vu la quasi-totalité des floraisons s’épanouir. La floraison des spécimens de Sclerocactus glaucus a été plus tardive, à partir du 19 mars seulement, mais elle a été somptueuse, certains spécimens comptant jusqu’à 5 à 6 fleurs largement épanouies dans un même temps.

On trouvera ci-après l’illustration de quelques-unes de ces floraisons 2019 avec l’indication de la date à laquelle les photographies ont été prises.

16 février 2019 – Sclerocactus blainei , semis de 2014, dans son pot de semis 5×5. Petite tige globulaire de 4cm de diamètre avec présence bien visible de deux boutons floraux (qui ne donneront pas de fleur).
22 février 2019 – Sclerocactus mesae verdae en culture. Spécimen âgé portant jusqu’à 13 boutons floraux qui ont tous donné leur fleur.
5 mars 2019 – Pediocactus winkleri, première fleur ouverte de la saison parmi tous les spécimens de Pediocactus et Sclerocactus en culture.
7 mars 2019 – Sclerocactus brevispinus, première fleur ouverte parmi les spécimens de Sclerocactus en culture.
11 mars 2019 – Sclerocactus brevispinus, spécimen avec 6 fleurs ouvertes en même temps.
11 mars 2019 – Sclerocactus mesae verdae, spécimen portant 13 boutons floraux, avec 9 fleurs épanouies dans le même temps.
19 mars 2019 – Sclerocactus glaucus, spécimen avec 4 fleurs épanouies dans le même temps.
22 mars 2019 – Ouverture d’une première fleur sur un spécimen de Sclerocactus whipplei.
26 mars 2019 – Unique fleur ouverte sur un petit Sclerocactus parviflorus.
26 mars 2019 – Sclerocactus parviflorus en culture, à fleur magenta.

Sclerocactus parviflorus sur sols cryptobiotiques

Le plus vaste des Parcs Nationaux de l’Utah est Canyonlands. Divisé en trois principales zones géographiques appelées districts, l’Île dans le ciel (Island in the Sky), les Aiguilles (The Needles) et le Labyrinthe (The Maze), il offre une multitude de sentiers de randonnées dans des paysages inoubliables et au milieu d’une végétation semi-désertique riche en cactées, en particulier des Sclerocactus parviflorus. De toutes mes randonnées effectuées en 2002 dans Canyonlands, celle m’ayant conduit aux aiguilles de grès colorées du Chesler Park m’avait permis d’en observer le plus grand nombre [à noter que mes photographies diapositives (argentiques) de l’année 2002 ont mal vieilli et que leur numérisation effectuée pourtant avec soin n’a pas permis d’en améliorer la qualité. Pardon auprès des internautes].

Les spécimens rencontrés étaient d’assez belle taille et montraient des couvertures d’épines fournies et spectaculaires. Presque toutes leurs épines centrales avaient la particularité d’être d’une couleur très claire, blanchâtre à ivoire, proche de la couleur toujours blanche de leurs épines radiales. Sur une terre sablonneuse souvent ocre, parfois rougeâtre à brunâtre, leur couleur accrochait la lumière et me permettait de repérer ces parviflorus de loin comme autant de précieuses balises facilitant mes découvertes.

Les spécimens que je rencontrais avaient aussi pour particularité de porter une épine centrale abaxiale assez longue qui dépassait les 6 cm sur les spécimens les plus gros. En formant une ligne doucement arquée, parfois légèrement torsadée, qui soulignait sa grande longueur, cette épine centrale s’imposait au premier regard. Elle était terminée par une pointe en hameçon de teinte brunâtre. C’étaient des spécimens qu’une impérieuse envie me poussait à voir de près. Mais j’avais des difficultés à les approcher, car nombre d’entre eux se trouvaient installés au beau milieu d’un sol couvert de croûtes cryptobiotiques.

Je me souviens que, depuis les années 1980/1990, les visiteurs et les randonneurs des Grands Parcs Nationaux de l’Ouest Américain étaient alertés sur la nécessaire préservation à apporter à ces sols et à leur encroûtement. Et j’avais pris connaissance de ce qu’ils pouvaient réellement signifier, biologiquement parlant, en lisant les articles vulgarisateurs de quelques-unes des brochures gratuites alors distribuées dans ces Parcs, telle celle de l’année 1990, intitulée From the Canyons et publiée par l’Association d’Histoire Naturelle de Canyonlands.

Les croûtes cryptogamiques se rencontrent sur tous les continents et plus particulièrement sur les terres arides et semi-arides. Elles couvrent notamment un pourcentage élevé de la surface des sols du vaste Plateau du Colorado et du désert du Grand Bassin, habitats des Sclerocactus, et aussi du désert de Sonora.

Ainsi lorsqu’on marche en pleine nature – en particulier à la recherche de spécimens de Sclerocactus –, il arrive immanquablement que l’on se trouve face à ce type de sols dont la surface, devenue le plus souvent grisâtre à noirâtre, apparaît curieusement bouleversée et crevassée. En l’examinant de près, on découvre qu’elle est constituée d’une multitude de formations architecturales miniatures et extravagantes, promontoires et presqu’îles à peine ébauchées, amorces de colonnades, cônes et pyramides dont les sommets, tels des pinacles, sont couronnés de croûtes sombres à la fois solides et fragiles, les croûtes cryptobiotiques. 

Ces croûtes sont constituées essentiellement d’organismes non vasculaires qui forment ensemble un univers très complexe. S’y rencontrent principalement des cyanobactéries, des mousses, des lichens ou encore de minuscules champignons. Tous ces organismes vivent, se déplacent et meurent sur le sol. Ils y laissent nombre de particules, fibres et déchets, des matériaux qui vont très vite s’amonceler, se coller les uns aux autres, puis durcir en adhérant au sol. Ce qui a pour effet premier d’en consolider la surface et d’en réduire considérablement l’érosion tant hydrique qu’éolienne. Mais tous ces matériaux participent aussi à la régénération du sol. Sa fertilité va s’en trouver augmentée, de même que son hydratation. Ces matériaux sont en effet capables d’absorber et de retenir près de dix fois leur volume en eau pour la redistribuer lentement dès lors que la terre s’assèche. Autant d’éléments qui expliquent que les plantes poussant sur ce type de sols cryptobiotiques bénéficient d’un niveau important de nutriments.

Mais cet encroûtement ne résiste malheureusement pas à la compression. Une fois perturbé ou écrasé, notamment sous les pas des randonneurs, sa reconstitution va nécessiter plusieurs années. Dès lors, il convient d’être respectueux en n’y marchant pas dessus !

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Sclerocactus parviflorus « terrae-canyonae »

La photographie ci-dessus a été prise le 25 avril 2009 dans le comté de San Juan en Utah, le long d’une piste longue de 19 kms conduisant aux rives de la rivière San Juan. Bien qu’un peu sinueuse et agrémentée de nombreux dos d’âne, c’est une piste sans obstacle et roulante. Elle longe les Red House Cliffs qui dominent un paysage plat et désertique, d’une couleur uniforme rouge orangée. Ce jour-là, le vent du nord soulevait une fine poussière qui venait colorer les moindres recoins de mes vêtements et de mon véhicule.

J’ai aperçu ces spécimens de Sclerocactus de loin car leurs tiges s’élevaient nettement du sol. Il s’agissait bien de terrae-canyonae caractérisés par leurs fleurs de couleur jaune que le vent froid n’avait pas empêché de s’ouvrir assez largement. Ces spécimens étaient tous âgés compte tenu de la taille des tiges. Je me souviens avoir été étonné de les trouver disséminés dans ce paysage sans relief, en léger contrebas de la piste, alors que je les recherchais de l’autre côté de celle-ci, au plus près des Red House Cliffs.

Les Sclerocactus parviflorus « terrae-canyonae »seraient de lointains hybrides entre Sclerocactus parviflorus et Sclerocactus whipplei. L’appellation Sclerocactus terrae-canyonae apparait en 1979 avec une première description du botaniste Kenneth D. Heil dans la revue Cactus and Succulent Journal (Los Angeles), 51 :25-30. En 1994, Sclerocactus terrae-canyonae devient Sclerocactus parviflorus ssp. terrae-canyonae dans un nouvel article de Kenneth D. Heil et J. Mark Porter, « Sclerocactus (Cactaceae) : a revision », article publié dans la revue Haseltonia, 2 :20-46. Plus de dix ans plus tard, la nomenclature de David Hunt (The New Cactus Lexicon, 2006) considère toujours ces spécimens comme une sous-espèce de parviflorus. Mais aujourd’hui, pour un grand nombre de botanistes, terrae-canyonae ne devrait pas être une appellation, ni même un taxon. Avec la meilleure compréhension que l’on a du genre Sclerocactus et la connaissance de la grande variabilité de son espèce parviflorus dontl’aire de répartition est très vaste, les spécimens de terrae-canyonae sont considérés comme une simple population de parviflorus.

Les parviflorus montrant des fleurs jaunes n’ont rien d’exceptionnel en Utah. Avant la construction du barrage de Glen Canyon qui amena la création du lac Powell, ils étaient très nombreux sur le plateau Rainbow, dans la Réserve Indienne Navajo. De très nombreux spécimens, non seulement à fleurs jaunes mais également à fleurs blanches ou roses blanchâtres, se répartissaient dans les zones les plus basses du Glen Canyon et de ses canyons secondaires. Tous ces spécimens ont été noyés sous les eaux du barrage. Et le lac Powell est un immense plan d’eau. Au regard du passé, il ne reste donc que peu d’exemplaires dont le nombre, de plus, a toujours été réduit dès que l’on quittait les zones basses de ces canyons.

Sur le site efloras.org, le nom terrae-canyonae n’apparaît que dans l’historique des descriptions qui ont concerné au fil du temps l’espèce parviflorus. Les fleurs de ces parviflorus y sont décrites succinctement : forme en entonnoir ou en clochette, pétales avec une bande médiane verdâtre à brunâtre et des marges de couleur rose à pourpre, jaune ou blanche. La couleur rose à pourpre est la plus souvent rencontrée, plus rarement la couleur blanche ou jaune. Jamais très vive, la couleur jaune de ces terrae-canyonae est bien différente de la couleur crème ou ivoire, parfois jaune blanchâtre, des Sclerocactus whipplei. L’aire de répartition de ceswhippleiest aussi différente. Hormis donc la couleur de leurs fleurs, la morphologie des tiges et des côtes de ces terrae-canyonae et, plus encore, leur couverture d’épines, s’apparentent à celles de l’espèce parviflorus.

Comme les parviflorus, ces terrae-canyonae sont des cactées de grande taille au sein du genre Sclerocactus (stricto sensu). Les tiges des spécimens âgés peuvent atteindre 40 à 50 cm de hauteur pour près de 15 cm de diamètre. La photographie ci-dessus montre un spécimen observé à Fry Canyon (Utah), bien protégé sous les rameaux d’un genévrier vieillissant, et dont la tige mesurait plus de 45 cm de longueur (ce qui n’est qu’une estimation compte tenu de la difficulté à l’approcher et à en mesurer correctement la longueur de tige !).

Ces spécimens à fleurs jaunes ont une répartition limitée à l’extrême sud-est de l’Utah, dans le comté de San Juan, ainsi qu’à l’extrême nord des comtés de Coconino et de Navajo, en Arizona, comtés qui sont en frontière avec l’Utah. En Utah, ils se rencontrent entre 1800 et 2300 mètres d’altitude, depuis l’environnement du Natural Bridges National Monument (concentration de ponts naturels de pierre creusés par l’érosion de l’eau, dont certains mesurent 60 à 80 mètres et sont parmi les plus longs rencontrés sur la planète) jusqu’aux rives sud de la rivière San Juan, au-delà de sa confluence avec la rivière Colorado. Les plus nombreux s’observent au nord de cette zone, particulièrement dans le secteur de Fry Canyon situé à seulement une douzaine de kilomètres à l’ouest du Natural Bridges National Monument.

Pour une description plus complète et technique, on pourra se rendre sur le site de Flora of North America.

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Sclerocactus parviflorus, Monument Valley, Arizona

Administré par les Navajo qui l’appellent la Vallée des Rocs, le parc tribal de Monument Valley est célèbre pour ses immenses étendues désertiques parsemées d’imposants monolithes, de buttes et de mesas, que l’eau et le vent ont façonnées au fil du temps. A cheval entre Utah et Arizona, c’est un joyau de spectaculaires et grandioses architectures naturelles magnifié par l’intense et lumineuse couleur rouge orangée des roches et de la terre. Je connais cette vallée depuis la fin des années 1970 et je garde encore très vivace le souvenir de longues heures passées, assis à même le sol, à contempler sans me lasser le paysage et ses monolithes depuis quelques fameux promontoires, en particulier « Artist Point » et « North Windows ». C’est en partie là que s’est construit, ou renforcé, mon côté (devrais-je dire mon travers ?) contemplatif.

C’est en 1992 et 1994 que mes périples à Monument Valley me permirent d’y découvrir des Sclerocactus. La photographie ci-dessus, qui date de 1994, montre un spécimen de Sclerocactus parviflorus installé sur une petite plateforme de terre rouge, à proximité immédiate de North Window. Ce spécimen était âgé, sa tige commençait à fléchir et sa floraison était passée, mais il était idéalement placé pour une photographie inoubliable. Une photographie qu’il n’est plus possible de refaire aujourd’hui, plateforme et cactus ayant disparus. A l’époque, j’étais à la recherche d’informations sur ces parviflorus, notamment sur la couleur de leurs fleurs que je n’avais pu voir et que j’imaginais être toujours rose ou pourpre. Mais ce genre de cactus ne faisait l’objet d’aucun ouvrage récent hormis celui que venait de publier, en 1990, le naturaliste Fritz Hochstätter, « To the habitat of Pediocactus and Sclerocactus ». Malheureusement, il ne comportait aucun commentaire à propos des Sclerocactus parviflorus à Monument Valley. Son second ouvrage paru en 1993, « The genus Sclerocactus revised », pas davantage… 

Je suis retourné à Monument Valley cette année 2017. Et j’y ai vu plusieurs magnifiques spécimens de Sclerocactus parviflorus. Tous en pleine floraison ! Une belle surprise ! Sur place, la découverte de ces parviflorus amenait de suite trois observations. La première concernait la  couleur de leurs fleurs, car, de loin, tous ces parviflorus paraissaient avoir des fleurs d’une seule et unique couleur blanche. Mais, en s’approchant, on remarquait bien vite que cette couleur blanche, pure et brillante, ne caractérisait qu’une partie supérieure de leurs tépales, pour laisser place, dans leur partie inférieure, à un jaune intense et soufré. 

Le spécimen photographié ci-dessus illustre parfaitement cette particularité. Comme si l’unique couleur jaune intense de l’ensemble des étamines, filets et anthères, et aussi du style et du stigmate, avait fortement imprégné la moitié basse des tépales internes. Les tépales externes se différenciaient de ces tépales internes par la présence d’une bande médiane légèrement jaunâtre. Celle-ci n’apparaissait plus nettement sur les tépales internes. Avec leur apex surmonté de ces fleurs bicolores qui étaient toujours en nombre (deux à quatre fleurs ouvertes par individu), ces parviflorus offraient un magnifique spectacle au découvreur que j’étais devenu ce jour-là. A noter que le site internet efloras.org précise cependant que les fleurs de parviflorus sont rarement blanches : « …; inner tepals rose to purple, pink, or yellow (rarely white); »

La seconde observation concernait la couleur de toutes leurs épines, radiales et centrales. Sur cette espèce parviflorus, les épines centrales abaxiales sont habituellement, et sur toute leur longueur, d’une couleur toujours sombre, le plus souvent rougeâtre à noirâtre. Mais sur tous les spécimens rencontrés, leur habit d’épines était de couleur blanche. Certes, au niveau de l’apex, on pouvait noter les teintes ambre à brunâtre des épines juvéniles. Mais, ces teintes étaient éphémères. En perdant très vite leur turgescence, ces épines prenaient une teinte grisâtre pour acquérir ensuite leur unique couleur blanche. Seule l’extrémité de la pointe crochue en forme d’hameçon de leurs épines centrales abaxiales montrait une teinte brunâtre à noirâtre. C’était la seule exception à l’uniformité blanche et lumineuse de leur toison d’épines. 

La troisième observation concernait la grande longueur de ces épines centrales abaxiales. Sur les parviflorus, cette épine centrale abaxiale, toujours doucement arquée tout en pointant perpendiculairement à l’axe de la tige, peut mesurer de 7 à 8 cm de long. Comme le montrent les photographies, sur certains spécimens, cette longueur n’était pas loin d’égaler le diamètre de leur tige. Une longueur qui, sur la dizaine de spécimens âgés observés ce jour là, permettait à quelques-uns de dépasser les 20 cm d’envergure, une dimension assez remarquable pour des cactées de petite taille.

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Sclerocactus parviflorus, Arizona Strip, Arizona

Le 30 avril 2012 en Utah, je découvrais à Fry Canyon, à proximité du motel du même nom, un spécimen de Sclerocactus parviflorus d’une taille inhabituelle. Encore aujourd’hui, ce spécimen me semble avoir été le parviflorus avec la plus haute tige qu’il m’a été donné d’observer dans la nature. Une tige haute de 40 cm au moins sinon plus, tant il était difficile de mesurer correctement cette hauteur. Il était bien caché et difficile d’accès sous les rameaux desséchés d’un antique genévrier. Photographié ci-dessous, ce spécimen poussait près du croisement de la route 95 et de la piste en terre battue menant au Red Rock Plateau. Il était l’un des très nombreux « terrae-canyonae » à fleurs jaune que l’on rencontre autour de Fry Canyon et le long de la Wingate Mesa. parvif-2012-0817

Je suis repassé à Fry Canyon en avril 2016. Ce « terrae-canyonae » remarquable n’existe plus. La route 95 et ses accotements ont fait l’objet de travaux de réfection et les proches abords du motel où poussait ce spécimen avec d’autres exemplaires ont été également « nettoyés ». Le sol est désormais raclé sur plusieurs dizaines de mètres et il n’y a plus rien à voir, sauf à emprunter les rares sentiers qui partent de cette route 95 et à y découvrir d’autres parviflorus mais de taille bien moindre.

Avec cette disparition, les autres spécimens de parviflorus montrant les plus hautes tiges qu’il m’a été donné de voir dans la nature ont été rencontrés en mai 2014 dans le parc de Canyonlands, le long de la route menant au point de confluence (Confluence Overlook) des rivières Colorado et Green. Des tiges qui mesuraient entre 30 et 35 cm de hauteur. En Arizona, en Utah, au Colorado ou au Nouveau-Mexique, et parce qu’il s’agit de l’espèce de Sclerocactus la plus répandue, les spécimens de parviflorus de grande taille ne sont pas rares. Les hauteurs de tiges de 25, 30, 35 cm s’accompagnent le plus souvent de diamètres de tiges supérieures à 10 cm (des diamètres qui peuvent atteindre 14,5 cm selon Flora of North America). parvif-2014-1251w

Dans le genre Sclerocactus (stricto sensu), seules les espèces parviflorus et polyancistrus montrent les plus hautes tiges, susceptibles d’atteindre 40 à 45 cm. Les tiges de l’espèce cloverae avoisinent tout au plus les 20 à 25 cm. Viennent ensuite les tiges des espèces blainei et spinosior dont les spécimens âgés peuvent mesurer de 15 à 20 cm de hauteur. Toutes les autres espèces du genre présentent des hauteurs maximales de tiges inférieures à 15 cm.

Curieusement, c’est au cours de ce même périple 2016, quelques jours après la triste découverte de la disparition de ce vénérable parviflorus, que j’ai pu en voir d’autres d’assez grande taille. Le 27 avril précisément, le long de la frontière entre Utah et Arizona. J’étais allé ce jour-là à la rencontre de personnes autochtones des Réserves Indiennes situées aux environs de Page et de Kanab/Fredonia. Je souhaitais rencontrer des botanistes ou des responsables de ressources naturelles dans l’espoir qu’ils me guident et m’aident à trouver de beaux spécimens de Sclerocactus au sein de leurs territoires dont l’accès peut être limité.

Le fait qu’un étranger vienne à leur rencontre à propos de cactées présentes sur leurs terres avait de quoi les surprendre. Qu’il leur montre, en plus, son site internet consacré à ces cactées ne pouvait que les intéresser. J’ai été partout bien reçu et écouté, avec bienveillance et attention, et je les en remercie une fois encore. Grâce à eux, j’ai découvert quelques spécimens de parviflorus auxquels personne ne portait plus attention. Après avoir emprunté des pistes improbables et chaotiques, je pouvais ainsi observer aux alentours de Fredonia, sur les pentes d’une petite colline à la végétation très clairsemée, deux spécimens de parviflorus à fleurs rose. Des parviflorus déjà de grande taille et de fort diamètre. parvif-2016-1380w

Le plus gros et le plus grand de ces spécimens mesurait, hors épines, près de 25 cm de hauteur pour presque 12 cm de diamètre. C’était un très beau spécimen. Il portait douze boutons floraux. Les premières fleurs commençaient à s’épanouir, mais bien timidement car ce 27 avril était une journée sans soleil. Un ciel triste et grisâtre, d’une couleur presque aussi sombre que celle de la terre dans laquelle poussait ce cactus. Le second, à la tige haute de 21 cm, mais d’un diamètre de presque 12 cm lui aussi, portait moins d’une dizaine de boutons floraux encore à s’épanouir. Ces deux spécimens avaient peut-être 25 à 30 ans d’âge et j’étais un peu désespéré de devoir les photographier sans soleil. Malgré cela, ce 27 avril allait rester une journée d’heureuses et instructives découvertes. parvif-2016-1383w

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Notes de culture 2016

Sclero parviflorus-Fl31modPremière fleurs

De novembre à février se déroule une période de dormance hivernale, d’arrêt de végétation, pour un très grand nombre de cactées, dont les Sclerocactus. C’est une période privilégiée pour mener à bien des opérations de rempotage. Cette activité a été engagée en serre dès les derniers jours de décembre 2015 et s’est poursuivie sur une durée de 2 mois. Des spécimens âgés, de plus de cinq ans d’âge ou davantage, nécessitaient impérativement un rempotage. La croissance de semis des années 2012 et 2013 commandait aussi un premier changement de pot (je précise « premier changement » car mes semis effectués dans des pots plastique carrés 5×5 cm ne sont jamais rempotés à l’issue d’un an, mais toujours au bout de deux, trois ou quatre ans selon leur pousse.) Sclero glaucus MesaCo-fl76mod

A fin janvier 2016, ces rempotages se trouvaient terminés pour tous les spécimens de Sclerocactus (et aussi de Pediocactus) dont l’entrée en végétation est toujours assez précoce, très souvent dès la mi-février ou fin février. La venue de (bonnes) conditions météorologiques printanières pour une entrée en végétation spectaculaire de ces spécimens n’est arrivée, pour ma part et au nord de la région Rhône-Alpes, que sur le tard par rapport aux années écoulées, notamment 2014. Ce début de printemps 2016 a été chaotique avec des températures assez nettement en-dessous des moyennes saisonnières et une (trop) longue suite de journées à la météo très changeante, un jour avec ciel bleu et soleil alternant avec ciel gris et une journée pluvieuse.

Pedio-bradyi-Fl02mod Tous les spécimens rempotés ont bien accepté leur nouveau substrat. Aucun n’a fait de blocage d’entrée en végétation. Ces cas de blocage se rencontrent parfois, même sur des spécimens adultes et âgés, et affectent tous les genres de cactées. Le substrat utilisé n’est pas foncièrement différent du précédent, toujours exclusivement minéral, mais comporte simplement en mélange plus de « cailloux », principalement basalte, micaschiste et granit décomposé, auxquels sont adjoints un peu moins de terre (granitique) assez fine et de fines particules de déjection de lombrics. Divers éléments minéraux viennent aussi en complément, en petite proportion et au cas par cas: ardoise, pouzzolane, chabasite, gypse… Soit la présence d’un peu plus de poches d’air au sein de ce substrat ou, en d’autres termes, un substrat qui se veut plus aéré.

Sclero cloverae SB1011mod

Par ailleurs, l’attention qu’il est nécessaire d’apporter à la composition et à la confection du substrat m’a amené à rempoter quelques spécimens de Sclerocactus dans des pots, non pas en terre comme j’ai coutume à le faire au sortir du semis, mais exceptionnellement dans des pots en plastique transparent. Le but n’est pas seulement de voir la structure interne qu’offre cette terre de culture mais, surtout et sur une période de trois à cinq ans, d’observer et de suivre la progression dans le sol que peuvent avoir racines et radicelles de ces cactées. A suivre donc…

Substrat Sclero spinosior 01mod

Substrat Sclero wetlandicus 02mod

Ces photographies, ci-dessus et ci-contre, permettent de se faire une idée de la texture davantage « empierrée » du substrat confectionné.

 

Reprise de végétation

Les espèces du genre Sclerocactus montrent un arrêt de végétation qui couvre généralement les mois de juin, juillet et août. Ce phénomène apparaît à l’approche du solstice de juin. Ce fut le cas en 2016. C’est la période du plein été. C’est une période de dormance pour ces cactées, accablées par la chaleur et par une absence de grande amplitude entre les températures diurnes et nocturnes. Les aréoles ne produisent plus d’épines. Les plus jeunes épines tout juste émergées de ces aréoles ont perdu leur turgescence. Aux premiers jours du mois d’août, certains spécimens en culture peuvent ainsi présenter une tige plus ou moins affaissée, ratatinée. Rien d’alarmant à cela. Le phénomène est courant dans leurs milieux naturels.

Cet arrêt de végétation va se poursuivre, le plus souvent, jusqu’au milieu ou la fin du mois d’août. La seconde moitié du mois d’août voit les grosses chaleurs estivales peu à peu s’estomper, le plus souvent en raison de pluies ou d’orages qui amènent de la fraicheur. Le temps change, les températures baissent quelque peu. C’est alors qu’il faut prêter attention à une reprise de la végétation de ces cactées, sachant que celle-ci n’est pas forcément systématique, encore moins cadencée ou attachée à quelques dates du calendrier. Pour ce qui me concerne et sur cette année 2016, les premiers signes de cette reprise se sont manifestés assez tôt, dès la première semaine d’août, sur un spécimen de Sclerocactus cloverae et deux spécimens de glaucus, puis après le 10 août, sur des spécimens de parviflorus et de parviflorus ssp. havasupaiensis.

Au niveau de l’apex, sur les aréoles naissantes, on pouvait y détecter et observer la production d’un nouveau duvet : sa plus forte densité accompagnée parfois d’une couleur plus claire était  le premier signe d’un réveil de végétation. On voyait aussi apparaître de nouvelles pointes d’épines. Cela marquait plus nettement encore cette nouvelle entrée en végétation, comme le montrent ci-dessous les photographies de spécimens en culture (photos au 16 août 2016). A noter les glandes nectarifères de nouveau actives sur le spécimen de cloverae photographié. cloverae-repriseveget4b

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C’est donc tout un travail de suivi et d’observation qu’il faut engager et poursuivre à l’approche ou à partir de la seconde moitié du mois d’août. Mais la (grande) difficulté de la culture des Sclerocactus sous nos climats européens incite à rester prudents dans la reprise des arrosages. Pas de précipitation. En fonction des conditions de culture, si la production d’un nouveau duvet sur les aréoles au plus proche de l’apex a été la seule à être observée, les arrosages pourront attendre la production de nouvelles épines. En d’autres termes, la reprise des arrosages ne va concerner que les spécimens manifestement entrés à nouveau en végétation.

 Au fil des ans, on pourra remarquer que certaines espèces dans le genre reprennent plus rapidement leur végétation. J’ai pu observer que certaines espèces, notamment parviflorus, cloverae ou glaucus, sont souvent les premières à la reprendre. C’est encore le cas cette année 2016. D’autres espèces semblent plus lentes à ce réveil, pubispinus, blainei et spinosior entre autres. Cela se confirme aussi cette année 2016. Leur arrosage a été différé par rapport aux premières : un arrosage intempestif pouvait être malvenu (pourriture des racines).

Les arrosages doivent être modérés. Ils peuvent être faits par capillarité, y compris avec des pots en terre. Pas question de « noyer » les plantes sous prétexte que leur substrat est au sec depuis deux mois ou plus. Dans la journée qui suit cette reprise des arrosages, on est toujours surpris de voir les tiges à nouveau se trouvées bien gonflées. Le système racinaire de ces cactées a tôt fait d’assécher le substrat de leur pot. Le redressement des tiges est d’autant plus spectaculaire que les spécimens sont encore juvéniles et de petite taille. Les photographies ci-dessous d’un Sclerocactus parviflorus encore juvénile montrent le changement qui s’est opéré.

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Avec une grande prudence, ces arrosages modérés vont être possibles au mieux jusqu’à la mi-septembre. Le substrat gagnera à rapidement redevenir sec dans les 48 heures par exemple. Tout va dépendre des conditions météorologiques à venir, et principalement du taux d’humidité de l’air ambiant (degré hygrométrique) qui, entre septembre et octobre, ne peut qu’augmenter. Rappelons que toutes les espèces du genre ont besoin d’une grande aération. Si tout confinement prolongé leur est préjudiciable, une trop forte humidité de l’air peut tout aussi leur être fatale alors que leur substrat est (encore) humide.

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Sclerocactus parviflorus, San Rafael Swell, Utah

La photographie ci-dessous a été prise le 6 mai 2014 dans le San Rafael Swell, une vaste zone désertique située au centre-ouest de l’Utah. Je me souviens avoir ressenti l’impérieux besoin de photographier ce paysage, sans même consacrer quelques secondes à parfaire son cadrage, tant l’espace qu’il représentait, par sa beauté et sa sérénité mais plus encore par sa simplicité et sa profondeur, illustrait de superbe façon le San Rafael Swell.

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J’avais sous les yeux le profil type de cet espace désertique. C’est-à-dire, une sorte de plateau composé de roches stratifiées, grès, schistes et calcaires, relativement plat dans sa partie centrale, mais accidenté principalement sur ses versants sud et sud-est avec sommets, mesas, buttes, gorges et canyons (San Rafael Reef). Géologiquement parlant, un espace de 120 kms de long sur 64 de large résultant d’un soulèvement de roches apparu il y a 60 à 40 millions d’années et s’érodant peu à peu à la suite de multiples bouleversements.

Sur cette photographie, tout s’y retrouve en perspective « immensément » petit, réduit, à l’image de la découpe sur l’horizon de quelques sommets : le San Rafael Knob, 2414 mètres d’altitude, point culminant de ce désert de San Rafael, mais aussi Block Mountain, 2263 m, Square Top, 2258 m, Head of Sinbad, 2175 m. Des sommets tous situés à une quarantaine de kilomètres à vol d’oiseau du lieu de la prise de vue.

Et au tout premier plan, sur un sol aussi lumineux que le bleu du ciel, un cactus, Sclerocactus parviflorus, qui plus est, en fleur ! Spécimen solitaire aussi beau que fragile. A bien regarder l’image, on peut noter qu’il est installé sur une portion de terrain légèrement en pente, celle-ci conduisant à des méandres encore à peine esquissés sur le sol et où s’écoule le trop plein d’eau des orages. Des méandres que la force de l’eau creusera et élargira au fil des années pour former le lit de l’un de ces cours d’eau temporaires souvent rencontrés dans les régions désertiques et qui portent les noms de wash ou d’arroyo.

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Bien que ce territoire soit aride, on y dénombre plusieurs zones de végétation qui s’étalent entre 1280 et 2400 mètres. Depuis les zones les plus basses formées de dunes, en passant par les zones de broussailles éparses sur sols alcalins et argileux, sols les plus répandus, jusqu’aux zones de pins pignon et de genévriers aux plus hautes altitudes. Outre Sclerocactus parviflorus, on y rencontre aussi Sclerocactus wrightiae qui est une espèce endémique du San Rafel Swell. Les spécimens de cette espèce s’observent toutefois en plus grand nombre plus au sud encore, au-delà des montagnes présentes sur l’horizon. triglochidiatus1511-2014

Curieusement, les espèces de cactées présentes dans le San Rafael Swell ne sont pas nombreuses. Pas même une dizaine. Avec les deux espèces rares et endémiques de ce désert que sont Pediocactus despanii et Sclerocactus wrightiae, on peut y voir des (inévitables) Opuntia erinacea, polyacantha et basilaris, de même que (inévitables eux aussi) des Escobaria vivipara. Sans oublier des Echinocereus triglochidiatus (ssp. melanacanthus) assez largement répandus, et des Sclerocactus parviflorus. On peut aussi y trouver en altitude de rares Pediocactus simpsonii.

escob-vivip-778-2009Quelques-unes de ces espèces ne vont se rencontrer que dans une seule zone de végétation, par exemple Pediocactus despanii, Pediocactus simpsonii et Escobaria vivipara dans celle des pins pignon et des genévriers entre 1750 et 2400 mètres. Les Sclerocactus parviflorus vont se rencontrer entre 1500 et 2100 mètres et les Sclerocactus wrightiae depuis 1700 mètres jusqu’aux plus basses altitudes, à l’exclusion des zones où dominent les sols sablonneux et les dunes.

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Une hybridation déterminante

Dans la mesure où leurs périodes de floraison coïncident, les espèces du genre Sclerocactus sont à même de s’hybrider facilement. Ce pourrait être un cinquième handicap et le plus dévastateur, car tous les Sclerocactus stricto sensu apparaissent être inter-fertiles. Cette hybridation qui est connue et très ancienne semble cependant avoir atteint aujourd’hui de grandes proportions pour certaines espèces. Et c’est là un gros problème sur le Plateau du Colorado.

La photographie ci-dessous prise sur un site au sud de la ville de Grand Junction au Colorado montre un spécimen âgé de Sclerocactus porteur d’une couverture d’épines très particulières, sans référence notable à celle d’une quelconque espèce du genre. La majeure partie de ses épines, radiales comme centrales, sont de couleur blanche, jusqu’à être parfois légèrement translucide. Les épines centrales montrent sur certaines aréoles des formes en glaive assez marquées, droites, dont la section n’est pas ronde mais plate. Ces formes d’épines centrales ne se retrouvent pas sur d’autres aréoles, remplacées par des formes arquées, pointant vers le haut de la tige, de section ronde et de couleur noire. La marque d’une hybridation avec l’espèce glaucus ?
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L’hybridation dans le genre Sclerocactus (stricto sensu) est connue. Elle est surtout le fait de S. parviflorus dont l’aire de répartition est très vaste. On sait qu’en fonction de leurs environnements locaux, les espèces s’étalent et s’éparpillent. Si certains groupes de plantes disposant de caractères morphologiques suffisamment différenciées et affirmés se retrouvent isolés, c’est alors qu’une spéciation s’effectue sur place. Dans le genre, S. wetlandicus est un vieil hybride entre S. parviflorus et S. brevispinus. De même, S. whipplei ssp. heilii est un hybride entre S. parviflorus et S. whipplei ssp. whipplei. S. havasupaiensis (assimilée à S. parviflorus selon Hunt, Lexicon 2006) est un hybride entre S. parviflorus et S. polyancistrus. Quant à S. sileri, elle apparaît comme étant un hybride entre S. parviflorus et S. spinosior ssp. spinosior.

glaucus-pur-Pyr-0343-2014Pour la botaniste américaine Dorde W. Woodruff, aucune espèce de Sclerocactus stricto sensu ne se trouve aujourd’hui véritablement isolée, en raison d’une hybridation des espèces de petite taille par les espèces de grande taille. Même si, d’une manière générale et comme on a pu le voir dans l’onglet « Répartition des Sclerocactus stricto sensu », les zones de répartition des espèces du genre montrent des espaces assez localisés. Sauf pour l’espèce parviflorus dont la répartition couvre d’immenses étendues et chevauche ou jouxte les secteurs de répartition de presque toutes les autres espèces du genre. Les espèces de petite taille sont S. brevispinus, S. glaucus, S. mesae-verdae, S. nyensis, S. pubispinus, S. sileri, S. spinosior (ssp. spinosior et ssp. blainei), S. whipplei ssp. whipplei et S. wrightiae. Les espèces de grande taille sont S. havasupaiensis, S. polyancistrus, S. wetlandicus, S. whipplei ssp. heilii et S. parviflorus.

parvif-Dutch-Flat-1312-2009Parmi les espèces de grande taille, S. havasupaiensis occupe un territoire si réduit et si isolé qu’elle ne présente qu’un faible potentiel d’hybridation. A l’inverse et du fait de son aire de répartition très vaste, l’espèce parviflorus est au contact d’autres espèces du genre plus limitées en nombre. Les périodes de floraison restent bien sûr déterminantes. Celles par exemple de S. polyancistrus et S. nyensis dont les aires de répartitions se chevauchent à proximité de Tonopah au Nevada.

Dans son texte Sclerocactus nyensis and the Great Basin Desert (2008, Cactus and Succulent Journal Great Britain, vol. 80 (5) 229-231), Zlatko Janeba dit avoir observé en de nombreux endroits et en fonction de l’altitude où sont implantés certains spécimens de ces deux espèces des temps de floraison simultanés sur la période 2004-2007, mais sans avoir cependant détecté d’hybridation. De légères fluctuations climatiques pourraient néanmoins favoriser localement un tel phénomène. En Utah, on peut remarquer sur le terrain que S. wetlandicus est toujours et encore assez variable du fait d’une proximité géographique avec S. brevispinus et aussi en raison d’une introgression constante avec S. parviflorus. Quant à S. whipplei ssp. heilii, sa répartition couvre une partie sud du bassin de la rivière San Juan au Nouveau Mexique sans affecter le territoire où se rencontre S. mesae-verdae.hybride1-glau-parv-1624-2014

Au Colorado, l’espèce de petite taille glaucus est dès à présent la plus touchée par ces phénomènes d’hybridation et d’introgression avec l’espèce parviflorus. Pour Dorde W. Woodruff, ces phénomènes sont plus ou moins importants selon les secteurs géographiques de DeBeque, de Dominguez Canyon, d’Escalante Canyon ou de Delta. Les tiges des spécimens concernés sont plus hautes et plus grosses que celles habituellement observées chez l’espèce (pure) glaucus. La couverture d’épines, l’aspect et la couleur de tige de ces spécimens sont cependant bien trop variables de site en site pour qu’il soit possible de trouver dans ces populations une morphologie unique. Ce ne sont non plus de « véritables » glaucus qui sont observées au Colorado mais plutôt, de place en place, des phénotypes, c’est-à-dire des populations ayant l’apparence (les caractères observables) de glaucus plus ou moins fortement hybridées avec S. parviflorus. hybride2-glau-parv-1624-2014Des travaux universitaires conduits au Colorado (Natalie Murrow, Frontiers of Science Institute 2011, University of Northern Colorado) ont bien montré cela à travers l’analyse génétique de multiples glaucus. La revue botanique Aquilegia (vol35, n°2) de la Société des plantes natives du Colorado (Colorado Native Plant Society) s’est faite de son côté l’écho en 2011 des travaux de Anna Schwabe (Analysis of choloroplast DNA from Sclerocactus glaucus and Sclerpcactus parviflorus to determine the level of directionality and hybridization between these two species) en soulignant que cette hybridation pourrait être à terme la plus forte menace d’extinction de cette espèce (pure) glaucus.

parvif-type-Reed-0402-2014Les botanistes Kenneth D. Heil et J. Mark Porter exprimaient déjà en 2004 une pareille hypothèse, mais à propos de deux autres espèces, en remarquant une « lente divergence évolutive morphologique entre S. brevispinus et S. wetlandicus » (Sclerocactus in Flora of North America Editorial Committee). Et d’ajouter : « Une menace naturelle importante pour S. brevispinus est qu’elle soit génétiquement submergée par S. wetlandicus plus largement répandue ». Selon Dorde W. Woodruff, les espèces de petite taille sont peu à peu submergées localement par les espèces de grande taille, et notamment par S. parviflorus en raison de son aire de répartition très vaste. Pour elle, la science botanique a le devoir de s’intéresser davantage aux hybrides naturels, et tout particulièrement au sein de ces Sclerocactus stricto sensu. Ils sont l’histoire en marche du genre dans le cours d’une évolution végétale qui ne s’arrête jamais.

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