Vers la fin des années 1980, j’ai été amené à découvrir d’anciens numéros d’un magazine qui n’était plus édité mais dont le seul titre, The Desert Magazine, me parut à l’époque contenir tout un savoir que je recherchais sur les vastes contrées de l’Ouest Américain. J’en étais d’autant plus persuadé qu’il se désignait comme The magazine of the Great American Desert. Et très vite je découvrais bien plus : toute l’âme de ces contrées désertiques transpirait de ses pages. Ce magazine mensuel, qui était édité en Californie, mérite encore aujourd’hui d’être découvert.
Durant ses cinquante-deux ans de parution, de novembre 1937 à juin 1985, il a toujours présenté un look de magazine régional d’aspect modeste, presque rustique, mais cependant toujours intéressant. Car il racontait avec simplicité, toujours avec passion et un humanisme affiché, des pans entiers de la (petite) Histoire (locale) de l’Ouest Américain. La diversité des articles y était grande : reportages sur la faune et la flore du désert, récits sur la vie des différentes ethnies et populations indiennes, biographies de pionniers, de géologues, compte rendus d’explorations et de randonnées. Mensuellement, une grande place était consacrée à la minéralogie avec des articles illustrés de cartes plus ou moins précises permettaient de découvrir de nombreux sites en Californie et au Nevada, son champ d’investigation privilégié étant le désert Mojave.
Par comparaison, la place accordée aux cactées m’a toujours parue bien trop réduite, telle celle donnée au genre Sclerocactus, dont seule l’espèce polyancistrus – espèce endémique du Désert Mojave – ne s’y trouve citée que deux fois. Une grande misère : deux fois seulement en cinquante-deux ans de parution du magazine !
Une première fois en mai 1940 (vol3, n° 7, page 32) avec une présentation d’à peine une page. Les traits essentiels de l’espèce y sont rappelés : spécimens assez difficiles à trouver dans la nature parce que rares et solitaires, couverture touffue d’épines enchevêtrées où se remarquent des épines centrales élancées particulièrement longues et de couleur blanche, ainsi que plusieurs épines latérales crochues de couleur brun rougeâtre qui viennent en contraste, grandes fleurs magenta à leur ouverture d’avril à mai et virant au rouge au moment de se fermer.
L’auteur de l’article, George Olin, précise pour les lecteurs l’impossibilité de cultiver dans leurs jardins les spécimens de polyancistrus prélevés dans la nature sous peine de les voir mourir à l’issue d’une année. Il mentionne l’infestation d’un insecte foreur (sans le nommer ; il s’agit du scarabée foreur Moneilema semipunctatum) dont l’espèce est déjà la victime (infested with a species of borer). Il termine son article en rappelant que l’espèce est en train de disparaître rapidement du fait de la collecte dont elle est victime dans son milieu naturel (Through the persistence with it has been collected, it is rapidly becoming extinct). Autant de précisions qui, énoncées au début des années 1940 – soit moins de 20 ans après le classement de cette espèce dans le genre nouveau Sclerocactus créé par les botanistes Britton & Rose – The Cactaceae, 1922 -, demeurent encore et toujours d’actualité plus de 80 ans plus tard.
Le nom de Sclerocactus polyancistrus apparait une seconde fois au mois de juillet 1982 (vol45, n°1-7, page 13) dans le courrier des lecteurs de la revue. Sous le titre Coup de pied dans des cactus (On kicking cacti), un lecteur de la petite ville de Fallbrook, Comté de San Diego, Californie, fait part de sa prise de conscience : « Pendant de nombreuses années, j’ai exploré le désert, et chaque fois que je trouvais un cactus mort, et si c’était sans risque de me faire mal, je lui donnais un grand coup de pied. Puis, je le piétinais et lui donnais un coup de pied encore plus fort jusqu’à être satisfait d’avoir dispersé le plus possible ses restes. C’est ce que j’ai fait pendant mes 20 premières années d’exploration – avant que je devienne un botaniste amateur passionné et que l’envie me gagne d’examiner de manière plus réfléchie chaque morceau de flore sous mes pieds ».
« Mais récemment, au cours de l’une de ces dernières années, j’ai observé que des semis germaient parfois sous la protection de la vieille carapace d’épines d’un cactus mort. Soudainement, dans le remords, je me suis demandé combien de semis j’avais ainsi détruit par mon attitude dévastatrice irréfléchie mais bien involontaire cependant, car je gardais en moi le sentiment qu’il convenait de respecter chaque brin de végétation du désert. Quelle leçon! J’avais raisonné en me disant que j’aidais assurément la nature en activant la décomposition d’une matière organique désormais sans vie ».
« Aujourd’hui, chaque fois que je veux semer des graines de cactus, ou de n’importe quelle autre plante, je recherche un cactus mort pour les semer. Mais j’ai dû aussi apprendre que même ramasser une plante morte, pour y placer ensuite des graines, pouvait entrainer la destruction des racines de plusieurs semis. Quelle meilleure protection pourrait être trouvée, à la fois pour les graines et les jeunes et fragiles semis, que la carapace d’épines d’un cactus mort qui se désagrège au fil des ans. Certains cactus, comme notre Sclerocactus polyancistrus californien, nécessitent cinq ans selon moi pour atteindre un diamètre de seulement neuf millimètres ».
Bob Lahmeyer, Fallbrook, Californie.
Comme l’écrit ce lecteur, l’observation patiente de la nature amène souvent à de belles révélations et découvertes. Sa prise de conscience me fait me souvenir de l’article écrit et publié à propos de spécimens de Sclerocactus wrightiae morts que j’avais rencontrés en Utah (Sclerocactus wrightiae, San Rafael Desert, Utah). Tout à côté de ce qui restait des plantes – des carapaces d’épines dont l’enchevêtrement avait résisté aux intempéries et au vent -, j’avais observé comme ce lecteur une nouvelle génération de petits Sclerocactus encore bien fragiles.