Sclerocactus polyancistrus et le Desert Magazine

Vers la fin des années 1980, j’ai été amené à découvrir d’anciens numéros d’un magazine qui n’était plus édité mais dont le seul titre, The Desert Magazine, me parut à l’époque contenir tout un savoir que je recherchais sur les vastes contrées de l’Ouest Américain. J’en étais d’autant plus persuadé qu’il se désignait comme The magazine of the Great American Desert. Et très vite je découvrais bien plus : toute l’âme de ces contrées désertiques transpirait de ses pages. Ce magazine mensuel, qui était édité en Californie, mérite encore aujourd’hui d’être découvert.

Durant ses cinquante-deux ans de parution, de novembre 1937 à juin 1985, il a toujours présenté un look de magazine régional d’aspect modeste, presque rustique, mais cependant toujours intéressant. Car il racontait avec simplicité, toujours avec passion et un humanisme affiché, des pans entiers de la (petite) Histoire (locale) de l’Ouest Américain. La diversité des articles y était grande : reportages sur la faune et la flore du désert, récits sur la vie des différentes ethnies et populations indiennes, biographies de pionniers, de géologues, compte rendus d’explorations et de randonnées. Mensuellement, une grande place était consacrée à la minéralogie avec des articles illustrés de cartes plus ou moins précises permettaient de découvrir de nombreux sites en Californie et au Nevada, son champ d’investigation privilégié étant le désert Mojave.

Par comparaison, la place accordée aux cactées m’a toujours parue bien trop réduite, telle celle donnée au genre Sclerocactus, dont seule l’espèce polyancistrus – espèce endémique du Désert Mojave – ne s’y trouve citée que deux fois. Une grande misère : deux fois seulement en cinquante-deux ans de parution du magazine !

Une première fois en mai 1940 (vol3, n° 7, page 32) avec une présentation d’à peine une page. Les traits essentiels de l’espèce y sont rappelés : spécimens assez difficiles à trouver dans la nature parce que rares et solitaires, couverture touffue d’épines enchevêtrées où se remarquent des épines centrales élancées particulièrement longues et de couleur blanche, ainsi que plusieurs épines latérales crochues de couleur brun rougeâtre qui viennent en contraste, grandes fleurs magenta à leur ouverture d’avril à mai et virant au rouge au moment de se fermer.

L’auteur de l’article, George Olin, précise pour les lecteurs l’impossibilité de cultiver dans leurs jardins les spécimens de polyancistrus prélevés dans la nature sous peine de les voir mourir à l’issue d’une année. Il mentionne l’infestation d’un insecte foreur (sans le nommer ; il s’agit du scarabée foreur Moneilema semipunctatum) dont l’espèce est déjà la victime (infested with a species of borer). Il termine son article en rappelant que l’espèce est en train de disparaître rapidement du fait de la collecte dont elle est victime dans son milieu naturel (Through the persistence with it has been collected, it is rapidly becoming extinct). Autant de précisions qui, énoncées au début des années 1940 – soit moins de 20 ans après le classement de cette espèce dans le genre nouveau Sclerocactus créé par les botanistes Britton & Rose – The Cactaceae, 1922 -, demeurent encore et toujours d’actualité plus de 80 ans plus tard.

Le nom de Sclerocactus polyancistrus apparait une seconde fois au mois de juillet 1982 (vol45, n°1-7, page 13) dans le courrier des lecteurs de la revue. Sous le titre Coup de pied dans des cactus (On kicking cacti), un lecteur de la petite ville de Fallbrook, Comté de San Diego, Californie, fait part de sa prise de conscience : « Pendant de nombreuses années, j’ai exploré le désert, et chaque fois que je trouvais un cactus mort, et si c’était sans risque de me faire mal, je lui donnais un grand coup de pied. Puis, je le piétinais et lui donnais un coup de pied encore plus fort jusqu’à être satisfait d’avoir dispersé le plus possible ses restes. C’est ce que j’ai fait pendant mes 20 premières années d’exploration – avant que je devienne un botaniste amateur passionné et que l’envie me gagne d’examiner de manière plus réfléchie chaque morceau de flore sous mes pieds ».

« Mais récemment, au cours de l’une de ces dernières années, j’ai observé que des semis germaient parfois sous la protection de la vieille carapace d’épines d’un cactus mort. Soudainement, dans le remords, je me suis demandé combien de semis j’avais ainsi détruit par mon attitude dévastatrice irréfléchie mais bien involontaire cependant, car je gardais en moi le sentiment qu’il convenait de respecter chaque brin de végétation du désert. Quelle leçon! J’avais raisonné en me disant que j’aidais assurément la nature en activant la décomposition d’une matière organique désormais sans vie ».

« Aujourd’hui, chaque fois que je veux semer des graines de cactus, ou de n’importe quelle autre plante, je recherche un cactus mort pour les semer. Mais j’ai dû aussi apprendre que même ramasser une plante morte, pour y placer ensuite des graines, pouvait entrainer la destruction des racines de plusieurs semis. Quelle meilleure protection pourrait être trouvée, à la fois pour les graines et les jeunes et fragiles semis, que la carapace d’épines d’un cactus mort qui se désagrège au fil des ans. Certains cactus, comme notre Sclerocactus polyancistrus californien, nécessitent cinq ans selon moi pour atteindre un diamètre de seulement neuf millimètres ».

Bob Lahmeyer, Fallbrook, Californie.

Comme l’écrit ce lecteur, l’observation patiente de la nature amène souvent à de belles révélations et découvertes. Sa prise de conscience me fait me souvenir de l’article écrit et publié à propos de spécimens de Sclerocactus wrightiae morts que j’avais rencontrés en Utah (Sclerocactus wrightiae, San Rafael Desert, Utah). Tout à côté de ce qui restait des plantes – des carapaces d’épines dont l’enchevêtrement avait résisté aux intempéries et au vent -, j’avais observé comme ce lecteur une nouvelle génération de petits Sclerocactus encore bien fragiles.

Sclerocactus polyancistrus, Monts Monte Cristo, Nevada

Il n’est pas rare de découvrir dans leur milieu naturel des cactées très affectées par l’extrême sécheresse à laquelle elles sont parfois confrontées. Ce fut le cas le 26 avril 2015 lors de nos recherches de Sclerocactus menées dans le secteur du petit massif montagneux Monte Cristo, à quelques kilomètres de la ville de Tonopah, au Nevada. La région est sous le régime climatique du désert du Grand Bassin. L’une des caractéristiques de ce désert est d’être souvent privé de nombreuses pluies qui, venant du Pacifique et poussées par des vents d’ouest dominants, sont bloquées précisément aux frontières ouest de ce désert par des reliefs imposants (Sierra Nevada), reliefs sur lesquels elles s’y déversent le plus souvent sous forme de neige. polyancistrus-0524-2015

Nous étions partis ce jour-là à la recherche de Sclerocactus nyensis, mais ce furent d’abord des spécimens de polyancistrus qui attirèrent tout particulièrement notre attention. Je les prenais dans un premier temps pour des nyensis en raison de leur couverture d’épines assez claire, plus nettement blanchâtre que celle des polyancistrus. Ces cactées étaient rabougries, ratatinées, ce qui changeait considérablement leur silhouette. Elles étaient manifestement âgées, mesurant hors épines 7 à 8,5 cm de diamètre de tige pour 4 à 6 cm de hauteur. Elles étaient si déshydratées que les tubercules de leur tige s’étaient affaissés les uns sur les autres au point qu’il n’était guère possible d’entrevoir leur épiderme. La plupart des épines s’entrecroisaient dans un fouillis indescriptible. On ne pouvait distinguer nettement que des épines de couleur très sombre, rougeâtre à brun rougeâtre, toutes plus ou moins érigées, avec une pointe en hameçon. Ces épines étaient cependant trop sombres et trop nombreuses pour être celles de nyensispolyancistrus-0544-2015

Les nyensis portent 6 à 8 épines centrales par aréole dont 3 seulement, terminées par une pointe en hameçon, sont de couleur rougeâtre à brunâtre. C’est une couleur qui caractérise les jeunes épines et qui va rapidement s’éclaircir pour disparaître et donner à cette espèce une spination blanchâtre assez uniforme et lumineuse. Or, les polyancistrus portent habituellement 9 à 12 épines centrales par aréole, plus de la moitié (5 à 9) présentant une pointe en hameçon tout en étant d’une couleur sombre rougeâtre au contraire assez pérenne. De plus, sur ces spécimens déshydratés, les autres épines centrales de couleur blanche, à section plate, étaient trop longues pour être celles de nyensis. Nous étions en présence de polyancistrus peut-être hybridés nyensis compte tenu principalement de leur spination générale nettement plus blanchâtre que celle, habituellement plus grisâtre, des polyancistruspolyancistrus-0545-2015

En cette période de l’année, ces spécimens mis à mal avec leur tige à peine gonflée, presque effondrée ou excessivement ridée, ne pouvaient qu’être victimes d’un déficit d’eau et d’humidité. Ils apparaissaient sains, bien ancrés dans le sol à fine texture que l’on découvrait après avoir écarté la couche de débris volcaniques qui les recouvrait en partie : tuf blanc et rose, basalte, pierre ponce… Un sol de prédilection pour l’espèce nyensis que nous devions trouver par la suite. Aucun trou à la base des tiges n’indiquait la présence de scarabée foreur (Moneilema semipunctatum). polyancistrus-0536a-2015

Tous venaient de terminer leur floraison, le plus volumineux d’entre eux (le plus âgé aussi ?) portant 11 restes floraux à peine fanés. Aucune formation de fruit n’était engagée. Nous arrivions peut-être une ou deux journées trop tard pour voir cet exemplaire encore en fleur. Un seul spécimen, plus petit, avait encore une fleur entr’ouverte dont les pétales commençaient à être découpés par des insectes. La couleur rose grenat des pétales indiquait que cette fleur commençait tout juste à s’épanouir avant de prendre une couleur rose pourpre à magenta propre à l’espèce.

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Sclerocactus polyancistrus, Nivloc road, Nevada

Ces photographies de spécimens de Sclerocactus polyancistrus ont été prises au Nevada dans un secteur aux paysages particulièrement spectaculaires et arides autour de la bourgade de Silver Peak, Nevada. On est dans la partie la plus au nord de l’aire de répartition de Sclerocactus polyancistrus, à 1579 m d’altitude.

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Une aire qui s’étire depuis le sud du Nevada (comtés de Nye, Esmeralda et Mineral) jusqu’en Californie, depuis l’ouest de San Bernardino et le nord du comté d’Inyo (comtés d’Inyo, San Bernardino et Kern). L’extrémité sud de cette aire de répartition se situe autour de la ville de Barstow. Du Nevada à la Californie où elle est limitée par les contreforts de la Sierra Nevada, cette aire de répartition représente la limite ouest de la zone de distribution du genre.Sclerocactus polyancistrus se rencontre sur des sols volcaniques, alcalins ou calcaires, sur des affleurements rocheux peu élevés ou sur des pentes douces de collines empierrées, rocailleuses, toujours exposées au sud, ou encore sur d’anciens terrains alluvionnaires et plats. C’est une cactée qui vit au cœur du désert de Mojave dans les communautés de végétation du « Joshua tree » (Yucca brevifolia) et à différentes altitudes, de 500/600 à 2350 m en Californie et de 1000 à 1900 m au Nevada.Polyancistrus-0553-2011

RepartPolyancis01On remarque que toutes les espèces du genre sont installées dans leurs habitats de manière assez dispersée. Il n’existe pas, sur la plupart des sites, de colonies regroupant un grand nombre de spécimens. On observe plutôt des individus éparpillés, toujours plus ou moins éloignés les uns des autres, même lorsque le relief ou les accidents du terrain ne se prêtent pas à éparpillement. S. polyancistrus, dont l’habitat est très étendu, en est un bon exemple au point de porter le nom vernaculaire de « hermit cactus ».

Cette couverture épineuse compte un total de 20 à 30 épines par aréole, et jusqu’à près de 35 sur certains spécimens. Les épines centrales, majoritairement de couleur sombre, sont au nombre de 9 à 12 par aréole, longues parfois jusqu’à 10 cm, plus de la moitié (de 5 à 9) présentant une pointe en hameçon. Les épines radiales sont le plus souvent au nombre de 10 à 15, jusqu’à 18 parfois par aréole, droites et blanches, longues de 2 à 5 cm.

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Sclerocactus polyancistrus, Rhyolite, Nevada

Lors de notre périple 2011, c’est au cours de la journée du 30 avril, le long de la route 374 en direction du col de Daylight et du Parc National de la Deaf Valley, que nous avons trouvés nos premiers Sclerocactus polyancistrus en fleur. Nous venions de Pahrump à l’ouest de Las Vegas et devions rallier la ville de Tonopah dans la journée. Nous avions déjà trouvé des polyancistrus le long de la route 373 au sud d’Amargosa Valley, à un peu plus de 900 m d’altitude, mais sans rencontrer encore de spécimens en fleur. Blue-Diamond-nursery-0232-2011

Cette journée avait débuté par une visite à une jardinerie bien connue située à l’ouest de Las Vegas, Cactus Joe’s Blue Diamond Nursery. Nous avions pu y voir quantité de cactées, notamment nombre de Ferocactus cylindraceus et lecontei, mais aucun Sclerocactus. Et il nous tardait de voir ces derniers. Aux alentours de Beatty et de la ville fantôme de Rhyolite, entre 1000 et 1100 m d’altitude, nous sommes presque aux confins septentrionaux de l’aire de répartition de cette espèce.

Polyancistrus0463-2011L’espèce polyancistrus couvre la seconde plus grande zone de distribution du genre Sclerocactus (stricto sensu) après celle, bien plus étendue, de l’espèce parviflorus. Une zone qui, à son extrême sud, va jusqu’au nord de la ville de Barstow en Californie. C’est d’ailleurs non loin de cette ville que les premiers spécimens de S. polyancistrus ont été découverts le 15 mars 1854. La découverte de ces premiers spécimens est mentionnée dans les comptes rendus botaniques rédigés par George Engelmann et John M. Bigelow lors d’une l’expédition conduite par le lieutenant A. W. Whipple au cours des années 1853-1854 (« Route near the thirty-fifth parallel« ). Voir Histoire du genre, période 1922-1950.

Polyancistrus0439-2011La rencontre avec ces Sclerocactus polyancistrus est toujours très surprenante, à l’image de celle avec les Sclerocactus nyensis. Il y a d’abord le fait que ces cactées poussent dans des sols impossibles. Un sol caillouteux à l’extrême où l’on cherche en vain le peu de terre dans laquelle s’enracinent ces plantes. Généralement engoncées dans une couche plus ou moins profonde de débris rocheux, ces cactées montrent ensuite une tige entièrement recouverte d’une multitude d’épines qui ne laissent pas entrevoir la couleur de l’épiderme. La dense couverture épineuse des polyancistrus, la plus fournie du genre, est toujours spectaculaire à voir. Elle constitue un signe de reconnaissance spécifique qui permet très vite de l’identifier. En présence de spécimens matures ou âgés de S. nyensis, et en l’absence de fleur ou de fruit, le nombre réduit d’épines radiales de ces derniers (6 à 8) et leur plus faible longueur permettent de les distinguer de l’espèce polyancistrus. Le nom polyancistrus est dérivé du grec ancistro, en forme d’hameçon, de crochet, et illustre précisément par son suffixe poly cette multitude d’épines à pointe en hameçon observées parmi les très nombreuses épines de l’espèce.

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Sclerocactus polyancistrus

Les spécimens matures de S. polyancistrus montrent une tige courte cylindrique qui s’allonge par la suite avec l’âge, haute de 10 à 40 cm de hauteur et de 5 à 9 cm de diamètre. Les épines sont très nombreuses, de 20 à 30 et jusqu’à près de 35 au total par aréole. Elles masquent très efficacement la tige. Polyancistrus0781-2011-Gemplus

Les épines centrales, majoritairement de couleur sombre, sont au nombre de 9 à 12 par aréole, plus de la moitié (de 5 à 9) présentant une pointe en hameçon. Parmi elles se distinguent 3 épines érigées vers le haut de la tige, le plus souvent nettement arquées ou tordues ou torsadées, de couleur blanche, longues de 4 jusqu’à 13 cm, et montrant une section plate de 1 à 1,5 mm de large. Les épines radiales sont le plus souvent au nombre de 10 à 15 et jusqu’à 18 par aréole, droites et blanches, longues de 2 à 5 cm.Dia-Epines-polyancistrus2Les fleurs sont diurnes, apicales, de forme évasée sur 5 à 9 cm de diamètre (un des plus grands diamètres dans le genre), odorantes à senteur épicée, de couleur rose-pourpre à magenta.  Les fruits, qui présentent quelques fines écailles, sont ovoïdes à allongés jusqu’à 5 cm de haut, de couleur verte puis rouge en séchant à maturité. Ils sont irrégulièrement déhiscents à leur base pour libérer des graines noires et brillantes. Dans son habitat, la floraison s’étale d’avril à juin.

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Pour une description plus complète et technique, on pourra se rendre sur le site de Flora of North America.

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Nathaniel L. Britton et Joseph N. Rose (période 1922-1950)

Créé par les botanistes américains Nathaniel L. Britton (1859-1934) et Joseph N. Rose (1862-1928), le nom du genre Sclerocactus (issu des mots grecs sklêros, dur, cruel, et kaktos, chardon) apparaît pour la première fois dans leur ouvrage monumental (4 volumes) intitulé The Cactaceae : Descriptions and Illustrations of Plants of the Cactus Family. Un ouvrage publié par l’Institut Carnegie à Washington entre 1920 et 1923 (publié pour la première fois en 1920 sous le numéro 248 de la publication de cet Institut). S’y trouvent rangées deux espèces, Sclerocactus whipplei et Sclerocactus polyancistrus, caractérisées l’une et l’autre par de nombreuses et impressionnantes épines. Ces deux espèces ont été découvertes dans les années 1850 et étaient précédemment placées dans un vaste genre commun Echinocactus. 

Ces découvertes se placent dans un contexte historique mouvementé. En particulier, avec la fin de la guerre de 1846 entre le Mexique et le jeune Etat Américain, ce dernier gagnant d’immenses territoires, entre autres l’Arizona, le Nouveau-Mexique et la Californie. Depuis les rives du Mississipi jusqu’à la côte Pacifique, plus de trois milles kilomètres de terres inexplorées s’ouvrent alors à six grandes expéditions diligentées par le gouvernement américain et qui visent notamment à créer des routes commerciales. Entre juillet 1853 et mars 1854, une de ces expéditions a pour objectif de déterminer un tracé ferroviaire entre le Mississipi et la côte Ouest et en suivant le 35ème parallèle. C’est au cours de cette expédition conduite par le Lieutenant Amiel Weeks Whipple (1818-1863) que vont être trouvés les premiers spécimens d’Echinocactus whipplei (Route near the thirty-fifth parallel, explored by Lieutenant A.W. Whipple, topographical engineers, in 1853 and 1854. Report on the botany of the expedition. Washington D.C.: WarDepartment, 1856). 

parvif-NavajoNM-1990-01Toutes les observations et informations collectées durant cette expédition sont consignées dans cinq volumineux rapports. Le rapport n°5 est consacré à la botanique et est rédigé par les botanistes de l’expédition, John Milton Bigelow (1804-1878) et le Dr George Engelmann (1809-1884).

Dans le rapport n°1 portant sur la Description Générale du caractère botanique du pays, J. M. Bigelow indique que dans le secteur de la Vallée de Zuni « sur les rives du Colorado Chiquito, et seulement dans ces alentours, nous avons trouvé un nouvel Echinocactus, le premier de ce genre rencontré sur notre route, mais il n’était pas en fleur ni en fruit. Il est assez peu répandu dans cette zone, ayant été trouvé seulement le long des berges du Rio Colorado Chiquito ». Dans le rapport botanique de l’expédition, George Engelmann est plus explicite : « Cette espèce a été découverte dans Lithodendrow Creek, près de la Colorado Chiquito à environ 90 miles (145 kms) à l’ouest de Zuni, dans des plaines sablonneuses, les 3 et 4 décembre 1853. Au début, seuls des spécimens morts ont été trouvés, puis des juvéniles vivants ont ensuite été collectés… Nous avons nommé cette très jolie espèce en l’honneur du capitaine A. W. Whipple, l’entreprenant et talentueux commandant de cette expédition ». Whipple1856whipplei1

En arrivant dans ces plaines sablonneuses non loin des rives de la rivière Little Colorado, Whipple fut impressionné par les innombrables bois pétrifiés sous formes de troncs souvent massifs qui se trouvaient disséminés un peu partout dans le paysage. Ce qui l’incita à nommer cet endroit Lithodendron Creek d’après les mots grecs anciens lithos, pierre, et dendron, arbre. Un vaste paysage appelé aujourd’hui et de manière plus appropriée Lithodendron Wash en raison d’une absence quasi permanente d’eau en toute période de l’année (William G. Parker, Sidney R. Ash, David G. Gillette, Roadlog through Petrified Forest National Park, Museum of Northern Arizona, Bulletin N° 62, 2006). En forme de large cuvette, ce secteur de Lithodendron Wash se trouve aujourd’hui en partie seulement dans les limites nord du Parc National de la Forêt Pétrifiée (Petrified Forest National Park).

La première description d’Echinocactus whipplei faite par George Engelmann dans le rapport botanique de  l’expédition de Whipple (1856) porte essentiellement sur la couverture d’épines et sur des graines. « Parmi les débris des spécimens morts récoltés, un nombre de graines furent trouvées qui à n’en pas douter appartenaient à cette espèce » est-il noté dans le rapport. Aucune mention ou description n’est faite à propos de fleurs ou de restes floraux. Et pour cause, les premiers spécimens de whipplei sont trouvés début décembre. J. M Bigelow écrit : « Malheureusement, nous sommes passés dans cette région entre le 18 Novembre (quand nous avons traversé la crête de la Sierra Madre) et le 25 Décembre. A cette dernière date, nous avons campé au pied des Monts San Francisco. Ce fut la saison la plus inappropriée de l’ensemble de l’année pour la collecte des plantes herbacées, et doit expliquer mes modestes collectes au cours de cette partie de notre voyage ».

Petrified-Forest-web-AZCe qui n’empêche pas, dans la vallée de Zuni et à proximité du lieu de découverte des spécimens de whipplei, de trouver une nouvelle espèce d’Opuntia. Et d’expliquer que « comme cette population de plantes intéressantes était presque la seule que nous pouvions trouver et étudier en cette saison et fin d’année, nos équipes rivalisèrent pour en apporter quotidiennement au camp qui n’avaient pas été déjà vues ou recueillies ». Le nom d’espèce davisii fut donné à cette Opuntia en référence au Secrétaire de la Guerre, le colonel Jefferson Davis, « sous les auspices duquel les expéditions pour l’exploration d’une voie appropriée au chemin de fer du Pacifique ont été organisées et ont pu accomplir tant de choses… ».

Des spécimens d’Echinocactus whipplei sont trouvés six ans plus tard au cours de l’expédition du Capitaine Ingénieur Topographe de l’Armée Américaine, James Hervey Simpson (1813-1883) (Report of explorations across the Great Basin of the Territory of Utah for a direct wagon-route from Camp Floyd to Genoa, in Carson Valley, in 1859). Mais toujours pas de fleur, les spécimens rencontrés ne permettant que de recueillir des restes floraux.

D’autres spécimens d’Echinocactus whipplei sont ensuite trouvés en 1871 lors de l’exploration dirigée par le géologue Clarence King (United States Geological Exploration of the Forthieth Parallel). Les comptes rendus botaniques de cette exploration rédigés par Sereno Watson (1826-1892) font curieusement état de fleurs de couleur « rouge verdâtre » pour Echinocactus whipplei alors que, quelques lignes plus loin, la description d’Echinocactus polyancistrus (premier spécimen découvert en 1854, renommé Sclerocactus polyancistrus par Britton et Rose), attribue à cette espèce des fleurs de couleur « jaune ». Dans quelles conditions ces couleurs de fleurs ont-elles été déterminées ? Faut-il y voir une malencontreuse mais simple inversion de couleur de fleurs entre les deux espèces (encore que « rouge verdâtre » ne soit pas très exactement la couleur des fleurs observés sur polyancistrus) ? SWatson1871whipplei1

Les quelques lignes relatives à Echinocactus whipplei n’apportent guère de précisions et mentionnent une localisation « in Desert Valley, west of Sevier Lake, Utah, … ce dernier (le spécimen) avec plus d’épines radiales et souvent plus d’une en forme d’hameçon ». On sait aujourd’hui que l’espèce whipplei n’est présente en Utah que de manière localisée à l’extrême sud-est de cet Etat. Elle est totalement absente tout autour du lac Sevier qui se trouve dans la moitié ouest de l’Utah, là où peuvent par contre se rencontrer des Sclerocactus spinosior. La mention « avec plus d’épines radiales et souvent plus d’une en forme d’hameçon » concernerait-elle alors un spécimen de Sclerocactus spinosior ? On notera par ailleurs que le véritable botaniste engagé pour cette exploration, William Whitman Bailey (1843-1914), a dû la quitter pour cause de maladie. C’est Sereno Watson, engagé pour cette exploration comme topographe, qui a été amené à le remplacer bien que n’ayant pas toute la formation botanique requise, et à rédiger le volume n°5 Botany de l’expédition de C. King (Harvard University Library, Papers of Sereno Watson, 1852-1885 : a Guide).

Cette couleur « rouge verdâtre »  est encore mentionnée dans la description que fait de cette espèce whipplei le botaniste américain John Merle Coulter (1851 – 1928) dans un rapport élaboré à partir de 1891, « Revisions of North American Gramineae and Cactaceae » (Contributions from the U. S. National Herbarium, Vol III, 1892-1896, Washington). Et dans la description qui est faite d’Echinocactus polyancistrus, on peut encore y lire que les fleurs de cette espèce sont de couleur « rouge ou jaune ». Cinquante ans après la découverte de ces cactées, leurs couleurs de fleurs respectives ne sont manifestement pas encore correctement déterminées.

En 1899, on trouve mention d’Echinocactus whipplei dans le volume IX de la revue Meehan’s Monthly éditée à Germantown, un quartier de Philadelphie, dans le Connecticut. Il s’agit, comme le précise sa publicité, d’un « magasine d’horticulture, de botanique et de sujets proches » dirigé par Thomas Meehan, horticulteur, botaniste et auteur de plusieurs articles sur les plantes succulentes. L’article consacré à Echinocactus whipplei est précédé de sa description extraite du rapport consacré à la Botanique provenant de l’expédition « Geological Survey of California » (1860-1874) publié seulement en 1880 et rédigés par divers experts sous l’autorité précisément de Sereno Watson. Les fleurs y sont décrites de couleur jaune. L’article signé de T. Meehan est illustré d’une lithographie couleur pleine page d’un spécimen de whipplei en fleur, une fleur qui n’a rien de jaune… meehan2-litho-whipplei(image courtesy University of Massachusetts Amherst).

Pour revenir aux années 1850 et à la suite de la découverte des premiers spécimens d’Echinocactus whipplei, le premier spécimen d’Echinocactus polyancistrus est découvert lors de la même expédition de Whipple « sur des collines rocailleuses et des plaines sablonneuses, à la source de la Mojave, sur le versant oriental de la Cordillère California, à une journée de voyage avant d’atteindre le col Cajon. Cette espèce élégante et surprenante a été collectée le 15 Mars 1854, avec de jeunes bourgeons floraux ». Ce nom polyancistrus est dérivé du grec ancistro (en forme d’hameçon, de crochet) et illustre par son suffixe poly la multitude d’épines à pointe en hameçon qui sont observées parmi les très nombreuses épines de l’espèce. Les premières descriptions de ces deux espèces, whipplei et polyancistrus, sont publiées en 1856 dans les “Reports of explorations and surveys for a railroad from the Mississippi River to the Pacific Ocean” (Georges Engelmann & John M. Bigelow, Proceedings of the American Academy of Arts and Sciences 3:271-272, 1856).

Britton & Rose ne rangent pas Echinocactus pubispinus dans leur genre Sclerocactus. Pourtant, les premiers spécimens de cette espèce sont trouvés le 9 mai 1859 au Nevada, comté de White Pine, dans le secteur de Pleasant Valley, une vallée à cheval entre les deux États du Nevada et de l’Utah. Le nom pubispinus est dérivé des mots latins pubes, poil, et spina, épine, en référence aux épines juvéniles pubescentes caractéristiques de l’espèce. Mais cette description, publiée en 1863 par H. Engelmann dans le recueil Transactions of Academic Scientific of St Louis 2 :199, se réfère à un exemplaire jugé par trop juvénile et de plus sans fleur ni fruit. Elle n’est pas retenue. HistoireSclero-polyancistrus

C’est lors d’une autre expédition conduite la même année par le capitaine James H. Simpson que sont trouvés d’autres spécimens mais cette fois en Utah, à l’ouest de Camp Floyd, près de Pleasant Valley. Cette expédition est destinée à ouvrir une nouvelle route depuis Camp Floyd, près de Salt Lake City, en direction de la Californie. La description réalisée par George Engelmann figure dans les comptes rendus de J. H. Simpson édités en 1876. Mais, au cours de l’expédition, le lieu de collecte des spécimens n’a pas été relevé de manière précise et la description est insuffisante. Pour G. Engelmann à qui cette cactée rappelle fortement Echinocactus whipplei décrite en 1856, elle devient Echinocactus whipplei var. spinosior qui, en 1976, sera renommée Sclerocactus spinosior par D. Woodruff & L.D. Benson (Changes in status in Sclerocactus in Cactus and Succulent Journal (Los Angeles), 48(3):131-134).

Britton & Rose ne rangent pas non plus dans les Sclerocactus les spécimens trouvés au Colorado dans le comté de Delta par le botaniste Joseph Anton Purpus (1860-1932). J. A. Purpus est le jeune frère de Karl Albert Purpus, connu dans les années 1880-1900 comme grand collectionneur et collecteur de plantes, principalement au Mexique et dans l’Ouest américain. Mais la description qu’en fait Karl Moritz Schumann (Gesamtbeschreibung der Kaktee, 438, 1898) sous le nom d’Echinocactus glaucus n’est pas retenue.

Reste le cas de Sclerocactus sileri. C’est bien dans l’ouvrage The Cactaceae que l’on semble en trouver trace historiquement. Britton et Rose y référencient Toumeya papyracantha décrite à l’origine par G. Engelmann (sous les noms de Mammillaria sileri puis de Echinocactus sileri) avec pour localité type le secteur de Santa Fe au Nouveau-Mexique. Ils indiquent aussi avoir trouvé à l’Académie des Sciences de Philadelphie des fragments d’une autre cactée assez ressemblante, cactée découverte en 1888 par un habitant de Kanab, Andrew Lafayette Siler (1824-1898). C’est un avocat et notaire, juriste passionné de botanique, qui est aussi le découvreur avéré de Pediocactus sileri au cours de ces mêmes années 1880. Les notes très réduites laissées par Siler avec ces fragments conservés à Philadelphie indiquent que c’est un Echinocactus papyracantha (ou papyracanthus) découvert au sud de l’Utah. Or, l’espèce papyracantha n’est pas présente en Utah, mais uniquement au Nouveau-Mexique et au centre-est de l’Arizona. Siler, qui n’indique malheureusement aucune localisation précise, n’a donc pas pu trouver cette espèce au sud de l’Utah. Mais il a pu découvrir Sclerocactus sileri dans la mesure où celle-ci ne se rencontre que dans une vallée située à quelque 60 km seulement d’un secteur qu’il connaît bien puisqu’il y a découvert P. sileri.  Andrew L. Siler est donc considéré à ce jour comme le découvreur à la fois de Pediocactus sileri et de Sclerocactus sileri. Un même nom d’espèces et un même découvreur qui ont amené une certaine littérature consacrée au genre Sclerocactus à faire figurer à tort Utahia sileri dans la nomenclature historique de S. sileri. En fait, Utahia sileri se rapporte uniquement et incontestablement à Pediocactus sileri, comme le montrent bien la description et une figure (n°227) des épines dans l’ouvrage The Cactaceae de Britton & Rose.

Sclerocactus sileri sera référencé Sclerocactus ssp. sileri fin des années 1960, puis Sclerocactus whipplei ssp. busekii au milieu des années 1990 (voir Histoire du genre, « Kenneth D. Heil (période 1990-2010) ».

Si bien qu’à l’époque de la création du genre Sclerocactus, cinq espèces ont donc été découvertes, polyancistrus, whipplei, pubispinus, glaucus et sileri, les trois dernières ne s’y trouvant pas (encore) rangées. Echinocactus pubispinus sera renommée Sclerocactus pubispinus en 1966 par Lyman D. Benson (Cactus and Succulent Journal (Los Angeles) 38(3): 103), lequel, la même année, renommera Echinocactus glaucus en Sclerocactus glaucus (A Revision of Sclerocactus in Cactus and Succulent Journal (Los Angeles) 38(2): 50-57). Le genre Sclerocactus s’enrichira de S. pubispinus var. sileri en 1969 (Lyman D. Benson, Cacti of Arizona, ed.3, 23, 179), cactée qui portera aussi le nom de S. whipplei ssp. buzekii (nom inusité) avant d’être élevée au rang d’espèce en 1994 sous le nom de Sclerocactus sileri (K.D. Heil and J. M. Porter, Haseltonia, 2, 20-46).

HistoireSclero-extraitCactaceae

L’année 1939 voit la publication de S. franklinii trouvée au Colorado dans le sud-est de la vallée de la Gunnison River, dans le même comté de Delta où fut trouvé précédemment Echinocactus glaucus par J. A. Purpus. Postérieur à celui de glaucus, ce nom de franklinii est aujourd’hui non usité, simple synonyme de glaucus. Les premiers spécimens de S. mesae-verdae sont découverts en 1940 près de Cortez, au sud-ouest du Colorado, par un docteur en médecine installé à Colorado Springs, Charles Hercules Boissevain. Ils sont décrits sous un nouveau genre, Coloradoa (Boissevain C.H. & C. Davidson, 1940, Colorado Cacti : an Illustrated Guide Describing all of the Native Colorado Cacti, 55, fig. 38-40). Le nom d’espèce a pour origine celui donné au parc national créé en 1908 par le président des États-Unis Theodore Roosevelt pour protéger les habitations préhistoriques troglodytiques construites à même des falaises par des Indiens Anasazi entre les VIe et XIVe siècles après J.-C. La plante sera renommée Sclerocactus mesae-verdae en 1966 par L. D. Benson dans la revue Cactus and Succulent Journal (Los Angeles) 38(2): 54.

Echinocactus parviflorus (qui va devenir Sclerocactus parviflorus) est une cactée décrite pour la première fois en 1941. Ce nom parviflorus vient du latin parvus, petit, et floreo, fleurir. Les premiers spécimens sont collectés le 6 juillet 1938 en Utah dans le comté de San Juan, au début du Forbidding Canyon tout proche du fameux Rainbow Bridge dans le secteur de Glen Canyon (Bulletin of Torrey Botanical Club, 68:419, fig), par une spécialiste des plantes succulentes, professeure de botanique dans le Michigan, Elzada Urseda Clover (1896-1980). Accompagnée de l’une de ses étudiantes, Lois Cutter Jotter (1914-2013), elle réalise cette année-là le premier relevé des espèces végétales présentes aux abords du fleuve Colorado sur près de 1 100 kilomètres de son cours. Elles sont les deux premières femmes à descendre ce fleuve – notamment sa partie Grand Canyon – sans embuche sur cette distance. En 1942, E. Clover publie dans l’American Journal of Botany, 29(2) :172-173, la description de deux nouvelles espèces, havasupaiensis et havasupaiensis var. roseus, cactées qui ne présentent que de minimes différences (en particulier couleur de fleur) avec les spécimens de 1941. En 1949, c’est le botaniste Peebles qui publie (Leafets of Western Botany 5(12): 191)une description de deux autres spécimens trouvés à la fin des années 1930 en Arizona près de la ville de Ganado, comté de Apache (S. whipplei var. pygmaeus) et à proximité de Pipe Springs, comté de Mohave (S. intermedius).

Les espèces havasupaiensis seront renommées S. parviflorus ssp. havasupaiensis par Fritz Hochstätter en 1995 dans la revue Succulenta (Netherlands), 74(1): 38. L’espèce intermedius sera renommée S. parviflorus ssp. intermedius en 1994 par Heil & Porter dans la revue Haseltonia, 2: 27. Ces deux ssp. sont assimilées aujourd’hui à S. parviflorus (The New Cactus Lexicon, David Hunt, 2006).

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